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La réaffirmation de l’étendue de l’immunité judiciaire dans le cadre de l’exercice des droits de la défense au cours de l’instance judiciaire

(Cour de cassation, 28 septembre 2022, n°20-16.139)

Dans son arrêt du 28 septembre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation précise l’étendue de la liberté d’expression qui incombe aux parties à un litige. En l’espèce, deux couples ont fait l’acquisition de plusieurs lots de copropriété au sein d’une résidence de services pour personnes âgées appartenant à une société venderesse. Une fois que les actes de vente ont été reçus par le notaire exerçant auprès d’une société civile professionnelle, les acquéreurs ont consenti des baux commerciaux à une société pour une location de studios. Toutefois, cette société et la société venderesse ont été placées en liquidation judiciaire. C’est pourquoi les acquéreurs ont assigné le notaire et la société civile professionnelle (ci-après “la SCP”) en responsabilité et indemnisation.

La Cour d’appel condamne les acquéreurs in solidum à payer au notaire et à la SCP un montant de 1 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des propos outrageants et diffamatoires tenus à leur encontre dans leurs conclusions devant la Cour. Selon les juges du fond, les acquéreurs auraient porté, à l’encontre du notaire et de la SCP, des « accusations particulièrement graves qui excèdent les propos pouvant être tenus par une partie » pour garantir la défense de ses prétentions. En effet, les allégations de faux ont porté atteinte à « l'honorabilité des notaires dont la probité est mise en doute ».

Dans le cadre du pourvoi formé par les acquéreurs, la Cour de cassation se fonde sur l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 afin de juger que les passages de conclusion prétendument diffamatoires peuvent justifier une condamnation pour diffamation, seulement s’ils sont étrangers à l'instance judiciaire. Sans apprécier si les propos possédaient un élément d’extranéité à l’instance ou à la cause, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale. Pour cela, la Haute juridiction casse et annule cette partie de l’arrêt du 3 mars 2020.

Par cet arrêt, la Cour de cassation pose le cadre de l’étendue de la liberté d’expression des parties à un litige. Ces dernières ne peuvent tenir des propos outrageants et discriminatoires en dehors de leurs conclusions à l’encontre de la partie opposée. Dès lors, les juges du fond doivent apprécier si de tels propos sont ou non en lien avec l’instance, l’abus de la liberté d’expression n’étant caractérisé que dans le cas où les propos ont été explicités en dehors des passages de conclusion fondant la prétention de la partie, et non s’ils sont en lien avec la cause. Ils sont également tenus de prendre en compte le but recherché par ce type de propos. La Haute juridiction écarte l’argument de l’atteinte à l'honorabilité des notaires, ce motif ne permettant pas d’influer sur la caractérisation d’une diffamation dans le cadre de la liberté d’expression des parties au litige. Dès lors, il en ressort une sorte d’immunité lorsque la liberté d'expression s’exerce dans le cadre strict de l’instance judiciaire.

L’arrêt s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle. En effet, une telle solution avait déjà été admise par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 19 avril 2005, dans le cadre d’un litige prud'homal. Le principe a été repris par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 28 mars 2008, où les juges du droit ont relevé la violation de l’article 41 de ladite loi en ce que la Cour d’appel n’a pas pris en considération le but poursuivi par les parties.

Tessa HAMANI et Camille CHOQUET

M1 et M2 Droit européen des Droits de l’Homme

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