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Une jurisprudence de la CEDH modérée quant au sort des ressortissants français retenus en Syrie : le présage d’une situation persistante dans un contexte sensible

(CEDH, 14 septembre 2022, H.F et autres c. France, requêtes n°21384/19 et n°44234/20)

La présente affaire concerne le rapatriement de proches de familles françaises de djihadistes retenus en Syrie. Par deux requêtes, la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après “la Cour”) a été saisie par les parents de deux femmes parties en Syrie avec leur partenaire ; femmes qui se trouvent retenues dans des camps au Nord-Est de la Syrie, avec leurs enfants. 

 

Entre mars 2019 et janvier 2021, la France organisa une série de rapatriements « au cas par cas » d’enfants se trouvant dans les camps syriens. Toutefois, les proches des deux requérants n’en faisaient pas partie. Ces derniers se sont adressés au Président de la République et au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères pour demander le rapatriement des membres de leur famille mais leur demande fut sans réponse. Une requête sera adressée au juge des référés du tribunal administratif de Paris qui, par une ordonnance du 7 mai 2020, rejeta leur demande au motif qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur une mesure en lien avec la conduite des relations internationales de la France. Le Conseil d’État déclara, à son tour, non admis le pourvoi en cassation des requérants formé contre l’ordonnance du tribunal administratif de Paris. Les intéressés décident alors d’introduire une requête devant la Cour le 6 mai 2019 et le 7 octobre 2020, cette dernière se prononçant en grande chambre eu égard à l’importance des enjeux et leur gravité. 

 

Il y a lieu de souligner que des recours ont été intentés devant d’autres organes internationaux tel que le Comité des droits de l’enfant qui a notamment considéré que la requête était recevable, que la France était compétente et pouvait ainsi procéder au rapatriement. Mais également, d’autres juridictions nationales d’États parties à la Convention ont estimé qu’il fallait procéder au rapatriement. 

 

Les principaux enjeux de cette requête portent tout d’abord sur la question de la juridiction de la France. En effet, la Cour devait déterminer si, comme le soutenaient les requérants, l’État français exerçait sa juridiction sur leurs proches (I). Également, se posait la question de l’existence d’une obligation de rapatriement à la charge de l’État français (II).

 

  1. Les requérants relèvent-ils de la juridiction de l’État français selon le raisonnement de la Cour à l’égard de l’article 3 de la Convention et de l’article 3, paragraphe 2 du Protocole n°4 ? 

 

Dans un premier temps, la Cour s’intéresse à la question du lien juridictionnel entre les proches des requérants et la France. Les requérants se fondent notamment sur l’article 3 de la Convention et sur l’article 3, paragraphe 2 du Protocole n°4 pour alléguer que le refus de l’État français de rapatrier leurs proches retenus dans les camps du Nord-Est de la Syrie exposait ces derniers à des traitements inhumains et dégradants contraires à ces dispositions.

 

Concernant l’article 3 de la Convention, la juridiction relève que la seule décision des autorités françaises, de ne pas rapatrier les proches des requérants, n’a pas pour résultat de placer ces derniers dans le champ d’application de la juridiction française, s’agissant des traitements subis dans les camps syriens. Ainsi, selon la Cour, les proches des requérants ne relèvent pas de la juridiction de la France à l’égard du grief tiré de l’article 3 de la Convention.

 

Mais ce qui est intéressant de relever dans cet arrêt, c’est le raisonnement de la Cour quant à l’établissement du lien juridictionnel des proches avec la France, au regard de l’article 3 paragraphe 2 du Protocole n°4. Ainsi, alors que la Cour considère que la nationalité n’est pas un titre de juridiction autonome, et ne suffit pas à établir un lien juridictionnel, elle énonce néanmoins que ce lien juridictionnel peut relever de circonstances exceptionnelles tenant à la situation de la personne qui prétend entrer sur le territoire de l’État et dont elle est la ressortissante. 

 

Ainsi, dans la présente affaire, la Cour considère qu’il existe des circonstances particulières, propres à la situation des camps du Nord-Est syrien, tenant notamment aux nombreuses demandes de rapatriement, ainsi que la situation d’extrême vulnérabilité dans laquelle se trouvent les proches des requérants, ou bien encore au fait que ces derniers ne soient pas en mesure de quitter les camps sans une assistance française. Dès lors, la Cour conclut qu’il existe des circonstances propres à établir la juridiction de la France à l’égard du grief tiré de l’article 3 paragraphe 2 du Protocole n°4. 

 

On peut remettre en cause la structure générale de l’arrêt, puisqu’en effet, la Cour fractionne et adapte le terme de « juridiction ». L’État peut l’exercer pour un droit (article 3, paragraphe 2 Protocole n°4) mais pas pour un autre (article 3 de la Convention). Alors que le raisonnement de la Cour reste le même, la conclusion, elle, est différente. 
 

    2. Existe-t-il un droit explicite au rapatriement pour la Cour ? 

 

Concernant plus spécifiquement l’existence d’un droit au rapatriement, la Cour constate qu’il n’existe pas de consensus européen sur l’existence d’une telle obligation à la charge des États, ni aucune obligation de droit international ou coutumier contraignant les États à rapatrier leurs ressortissants. La consécration d’un « droit diplomatique de rapatriement » irait alors à l’encontre du droit international et du pouvoir discrétionnaire des États. 

 

C’est la raison pour laquelle la Cour va modérer la portée de son arrêt en consacrant une obligation positive à la charge de l’État concernant le rapatriement de ses ressortissants afin que le droit d’entrer sur le territoire, protégé par la Convention, soit effectif et concret. On remarque alors que cette obligation positive n’est pas matérielle mais procédurale, l’État français a l’obligation de garantir l’exercice effectif du droit d’entrer sur son territoire en présence de circonstance exceptionnelle mais le contrôle se limitera à l’existence d’une protection effective, notamment contre l’arbitraire. 

 

La Cour indique, dans la dernière étape de son raisonnement, qu’il revient aux autorités françaises d’entourer le processus de garanties appropriées contre l’arbitraire pour les demandes de rapatriement. Le rejet d’une demande doit pouvoir faire l’objet d’un examen individuel permettant de contrôler la légalité de la décision de rejet. Cet examen doit être opéré par un organe indépendant qui soit détaché des autorités exécutives. La Cour demande, par ailleurs, au gouvernement français, de « reprendre l’examen des demandes dans les plus brefs délais ». On remarque que la Cour interpelle la France sur la manière dont elle va mettre en place cette décision.  

 

Suite à cet arrêt et cette condamnation « partielle » de la France, il convient naturellement de s’interroger sur l’avenir de l’acte de gouvernement en France, même si la Cour ne reconnaît pas de droit général au rapatriement. Enfin, la pression à laquelle est soumise la Cour, en ce qui concerne ce contexte, celui du terrorisme, l’amène à adopter une jurisprudence que l’on peut qualifier de prudente mais audacieuse sur certains points, notamment les obligations positives à l’égard de l’État. 

 

Faustine PECLIER et Semra TOSUNI

M1 et M2 Droit européen des Droits de l’Homme

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