Le droit au procès équitable et le régime de l’audition libre : une nouvelle condamnation de la France pour violation de l’article 6 de la CEDH
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(CEDH, 20 septembre 2022, Merahi et Delahaye c. France, requête n° 38288/15)
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Dans un arrêt du 20 septembre 2022, la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après “la Cour”) a condamné la France pour violation de l’article 6 de la Convention protégeant le droit à un procès équitable.
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En l’espèce, les requérants, M. Merahi et M. Delahaye, ont été condamnés pénalement sur le fondement des déclarations obtenues lors de l’audition libre de M. Merahi. Or, celles-ci ont été obtenues alors que ne lui avait été notifié ni son droit de garder le silence, ni celui de bénéficier de l’assistance d’un avocat. En outre, il ne s’est pas vu informé expressément de son droit à quitter les lieux à tout moment. Ces droits sont protégés par l’article 6 de la Convention, les requérants estiment donc qu’une atteinte a été portée à leur droit à un procès équitable, et plus particulièrement à leur droit à ne pas contribuer à leur propre incrimination, ainsi qu’aux droits de la défense.
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Ainsi, si la Cour considère la requête de M. Delahaye irrecevable du fait du non épuisement des voies de recours internes, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6 §1 et §3 de la Convention pour M. Merahi.
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La Cour reprend un raisonnement déjà établi dans sa jurisprudence relative au régime de l’audition libre, par laquelle elle a déjà condamné la France dans l’affaire Wang du 28 avril 2022. Une analogie est donc faite avec le régime de la garde à vue : lors de son audition libre, M. Merahi se trouvait, en fait, dans une situation similaire à celle d’un suspect placé en garde à vue, seul face aux questions des enquêteurs et sans l’assistance d’un avocat.
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In fine, il ne ressort donc pas des pièces du dossier l’existence de raisons impérieuses de nature à justifier les restrictions litigieuses.
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Enfin, les restrictions subies peuvent être considérées comme compensées, si l’équité de la procédure dans son ensemble a été maintenue, comme la Cour l’a établi pour la première fois dans son arrêt Beuze c. Belgique. Ainsi, si les juridictions internes ont procédé à l’analyse nécessaire de l’incidence de l’absence d’avocat et du défaut de notification du droit de garder le silence à un moment crucial de la procédure, les restrictions litigieuses pourraient être considérées comme justifiées.
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En l’espèce, la Cour considère que M. Merahi se trouvait bien en situation de vulnérabilité lorsque ses déclarations litigieuses ont été effectuées. Elle retrace alors les différents raisonnements opérés par les juridictions nationales. En premier lieu, le tribunal correctionnel de première instance a relaxé les requérants au motif que les déclarations auto-incriminantes devaient être écartées dès lors que M. Merahi était revenu sur ses aveux durant l’audience, et que les autres éléments du dossier n’étaient pas suffisants pour parvenir à un constat de culpabilité. De plus, la Cour considère que le raisonnement de la Cour d’appel reposait essentiellement sur les déclarations incriminantes recueillies au cours de l’audition libre du requérant, sans que cela ne soit relevé par la Cour de cassation.
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Par conséquent, la Cour conclut que l’équité de la procédure pénale prise dans son ensemble ne permet pas de remédier aux graves lacunes procédurales survenues pendant l’audition libre.
On peut donc conclure que ce jugement s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle de la Cour qui a déjà condamné la France pour des faits similaires dans les arrêts susmentionnés.
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M2 Droit européen des Droits de l’Homme