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Intervention du législatif au cours d’une procédure judiciaire de redressement fiscal : la Cour EDH se départit de son approche restrictive

 (CEDH, 3 novembre 2022, Vegotex International S.A. c. Belgique, requête n°49812/09)

Dans un arrêt de Grande Chambre du 3 novembre 2022, la Cour EDH s’est écartée de son application jusqu’alors stricte du principe consacré à l’article 6 de la Convention EDH, qui s’oppose à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice. Elle opère ici une appréciation plus souple du motif d’intérêt légitime impérieux de nature à justifier une telle ingérence, face aux objectifs poursuivis par la sanction fiscale litigieuse.

 

En l’espèce, la société requérante belge Vegotex s’est plainte de l’application rétroactive de l’article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, entrée en vigueur durant la procédure d’appel. Vegotex estime en effet avoir été lésée, puisque selon elle si cette disposition n’avait pas été appliquée rétroactivement, sa dette fiscale aurait été prescrite en application de la jurisprudence de la Cour de cassation. La société introduit alors une requête devant la Cour EDH en 2009, invoquant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Dans un arrêt de chambre du 10 novembre 2020, la Cour EDH a conclu à la non-violation : d’une part concernant l’intervention du législateur en cours de procédure ; et, d’autre part relativement au principe du contradictoire dans le cadre de la procédure devant la Cour de cassation. Insatisfaite de cette solution, la société requérante a alors demandé et obtenu le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

 

Dans son arrêt du 3 novembre 2022, la Grande Chambre a confirmé la solution déjà retenue dans l’arrêt de chambre. Elle considère que, dans les circonstances particulières de l’affaire, l'intervention du législateur était prévisible durant la procédure de redressement fiscal et justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général au vu des raisons invoquées par le gouvernement. Elle retient ainsi que la mesure visait à lutter contre la grande fraude fiscale, à éviter une discrimination arbitraire entre les contribuables, et était nécessaire pour assurer la sécurité juridique en corrigeant les effets d’une jurisprudence de la Cour de cassation qui ne reflétait pas la position majoritaire des juridictions inférieures.

 

L’approche retenue par la Grande Chambre est assez conciliante, alors qu’elle faisait preuve jusqu’alors d’une appréciation assez restrictive des motifs impérieux d’intérêt général de nature à justifier une atteinte aux principes protégés à l’article 6 de la Convention. 

 

Certes, la Cour réaffirme que le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable s’opposent en principe à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige (Zielinski et Pradal et Gonzalez c. France, 28 octobre 1999). En l’espèce cependant, relevant notamment que les sanctions fiscales ne relèvent pas du noyau dur du droit pénal, elle admet que l’intervention du législateur était bien justifiée et conclut à l’absence de violation de l’article 6§1.

 

Maëlle SAADAOUI

M2 Droit européen des Droits de l’Homme

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