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La collecte et la conservation excessive par l’EFS de données personnelles reflétant l’orientation sexuelle supposée d’un donneur

 

(CEDH, 8 septembre 2022, Drelon c. France, requêtes n°3153/16 et 27758/18)

Le 8 septembre 2022, la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après “La Cour”) a rendu un arrêt de chambre contre la France pour la collecte et la conservation de données personnelles d’un donneur par l’Etablissement français du sang (ci-après “l’EFS”).

En l’espèce, en 2004, le requérant M. Drelon, chercha à donner son sang dans un site de collecte de l’EFS. Au cours d’un entretien médical préalable, il lui fut demandé, notamment, s’il avait déjà eu un rapport sexuel avec un homme. Refusant de répondre, sa candidature au don du sang fut rejetée et ses données personnelles saisies dans un fichier. Il fut renseigné comme étant visé par la contre-indication au don prévue pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un autre homme. Le requérant déposa plainte pour discrimination, mais ses recours n’aboutirent pas. Il tenta une nouvelle fois de donner son sang en 2016, en vain. Il demanda alors l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté de 2016 modifiant les critères de sélection des candidats au don du sang. Son recours fut rejeté. 

Dès lors, M. Drelon a saisi la Cour, alléguant la violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour ne s’est pas prononcée sur la violation de l’article 14, au motif qu’il n’était pas nécessaire d’examiner séparément le grief. Les requêtes concernent d’une part, la collecte et conservation par l’EFS des données personnelles reflétant l’orientation sexuelle supposée de M. Drelon, ainsi que le rejet de son recours par les juridictions pénales ; et d’autre part, le rejet par le Conseil d’Etat de son recours pour excès de pouvoir. Nous n’étudierons pas la seconde requête, rejetée par la Cour. 

L’EFS étant un établissement public de l’Etat, la violation alléguée a été examinée sous l’angle des obligations négatives. La Cour constate, dans un premier temps, l’existence d’une ingérence dans la vie privée de M. Drelon, dès lors que les données collectées comportent des indications explicites sur sa vie sexuelle et son orientation sexuelle supposée. Elle s’intéresse ensuite à la justification de l’ingérence à l’aune des trois critères. 

Dans un premier temps, l’ingérence est prévue par la loi française qui permet, de manière suffisamment claire et prévisible, en matière médicale, de collecter des données relatives à la vie sexuelle des personnes. 

La Cour indique ensuite que l’ingérence litigieuse poursuit un but légitime, celui de protection de la santé et de la sécurité transfusionnelle. 

Enfin, la Cour a contrôlé la proportionnalité de la mesure au but poursuivi. Elle relève que, eu égard à la sensibilité des données collectées, celles-ci doivent être exactes, mises à jour, adéquates, pertinentes, non excessives par rapport à la finalité du traitement, et leur durée de conservation ne doit pas excéder ce qui est nécessaire (article 5 de la Convention du 28 janvier 1981). Or, les données relèvent de l’intimité du requérant, elles ont été collectées sans son consentement, sur la base de spéculations et non de données factuelles avérées, et leur durée de conservation était prévue jusqu’en 2278. La Cour constate ainsi que, au vu de la pratique constante de l’EFS, la durée excessive de conservation des données litigieuses a rendu possible leur utilisation répétée à l’encontre du requérant, entraînant son exclusion automatique du don de sang. 

La Cour déclare que l’Etat a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière, et conclut à la violation de l’article 8, du droit au respect de la vie privée du requérant, en raison de la collecte et conservation des données personnelles litigieuses. 

Mathilde LIGONNET

M2 Droit européen des droits de l’Homme

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