top of page

La Cour européenne des droits de l’Homme condamne TPMP sur la violation de l’article 10
(CEDH, 9 février 2023, C8 (CANAL 8) c. France)

La présente affaire concerne deux requêtes introduites par la chaîne C8, concernant l’émission « Touche pas à mon poste ». En décembre 2016, pendant une chronique censée montrer aux téléspectateurs ce qui se passe en coulisses, l'animateur aurait incité une chroniqueuse, qui avait les yeux fermés et pensait participer à un jeu, à poser la main sur son pantalon au niveau de son sexe. La séquence ne permet pas de déterminer si la chroniqueuse était informée ou avait donné son consentement.


Une seconde requête concerne une diffusion, en mai 2017, où le même animateur, dans le cadre d'un canular, a échangé avec des personnes qui répondaient à une fausse annonce à connotation sexuelle qu'il avait publiée sous une identité fictive sur un site internet de rencontre. Pendant cet échange, il a utilisé des caricatures stéréotypées pour décrire une personne homosexuelle et a échangé avec eux des propos personnels et parfois sexuellement explicites.
 
Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) a prononcé une sanction à l'encontre de C8, la société requérante, consistant en une suspension de la diffusion de séquences publicitaires pendant deux semaines, à la suite des incidents survenus lors de la première diffusion de l'émission. Suite à la seconde séquence, le CSA a reçu plus de 25 000 plaintes et a imposé une sanction pécuniaire de 3 000 000 euros à C8. La société a contesté ces décisions devant le Conseil d'État, mais les requêtes ont été rejetées. Elle a alors saisi la Cour Européenne des Droits de l'Homme (ci-après “la Cour”) qui a décidé d'examiner conjointement les deux requêtes en raison de la similarité de leur objet.

 

L’ingérence dans la liberté d’expression résultant de la sanction imposée par le CSA envers la société requérante respecte-t-elle la condition de nécessité dans une société démocratique, conformément à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ?

 

Les principaux enjeux de ces deux requêtes portent tout d’abord sur la question de l’adhésion par la Cour à la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique (I). Également, se posait la question de la sévérité de la sanction, et donc de sa proportionnalité (II). 

 

I. L’adhésion de la Cour à la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique

 

Après avoir établi l’existence d’une ingérence, la Cour va venir effectuer plusieurs contrôles afin de déterminer si effectivement cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique. Dans un premier temps, elle va rappeler que s’agissant des ingérences litigieuses, la société requérante a bénéficié de garanties procédurales. Elle va ensuite venir déterminer que les séquences litigieuses n’étaient pas d’intérêt général et que, dès lors, l’État défendeur possédait une large marge d’appréciation pour juger la société requérante en raison du contenu de ces séquences.

La Cour va, dans un troisième temps, établir que le discours humoristique ou les formes d’expression cultivant l’humour sont, en effet, bien protégés par l’article 10 de la convention. En revanche, elle ajoute que ce type de discours n’échappe pas aux limites du paragraphe 2 du même article. En l’espèce, la Cour va adjoindre son approbation quant aux ingérences apposées par le CSA, elle détermine qu’effectivement, les séquences véhiculent une image stéréotypée négative et stigmatisante des femmes et des personnes homosexuelles. Elle ajoutera que les stéréotypes constituent souvent la base de la discrimination et de l’intolérance. Il est intéressant de relever que la Cour souligne une nouvelle fois que l’égalité des sexes est un but important des Etats membres du Conseil de l’Europe et qu’en l’espèce elle établira sa décision à la lumière de cet objectif. 

De plus, elle indique que la diffusion des propos d’une personne relatifs à ses préférences, pratiques sexuelles ou à son anatomie intime, sans son consentement préalable et sans dispositif destiné à prévenir son identification, constitue une atteinte à sa vie privée. Dans sa conclusion, il est aussi pertinent de relever que la Cour s’arrête sur un nouveau détail qu’elle n’avait pas traité dans son appréciation : l’impact que possède l’émission sur le jeune public. Ce facteur sera apprécié comme un nouveau critère dans son évaluation. 

 

II. La sévérité de la sanction

 

Dans la première affaire, le CSA prononça à l’encontre de la société requérante Canal 8 une sanction d’une suspension pendant deux semaines de la diffusion de séquences publicitaires au sein de l’émission estimant que la séquence en question banalisait des comportements inacceptables et présentait une situation dégradante pour la personne, ce qui tendait à réduire la femme à un objet sexuel. Pour la seconde affaire, suite aux 25 000 plaintes déposées auprès du CSA, une sanction pécuniaire de 3 000 000 euros a été attribuée à Canal 8. La Cour a rappelé que le pluralisme et la démocratie reposent sur la reconnaissance et le respect de la diversité, et que l'interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la cohésion sociale. 

La société sanctionnée a été mise en demeure à plusieurs reprises de se conformer à la loi, mais n'a pas pris les mesures nécessaires. La Cour a pris en compte le chiffre d'affaires de la société requérante pour déterminer le montant des sanctions. Les 3 000 000 euros de la sanction pécuniaire représentent seulement 2 % du chiffre d'affaires de la société requérante. La Cour considère que ces sanctions restent proportionnées aux manquements commis par la société et que le caractère pécuniaire est particulièrement adapté, en l’espèce, à l’objet purement commercial des comportements qu’elles répriment. Par ailleurs, la Cour rappelle que les sanctions prévues par la loi sur la liberté de communication sont graduelles et que le CSA avait la possibilité de prendre des mesures encore plus sévères, telles que la suspension de l'autorisation d'exploitation ou la réduction de la durée de l'autorisation, en plus de la sanction pécuniaire.

En comparant les sanctions prononcées dans cette affaire avec celles prononcées dans d'autres affaires similaires, la Cour souligne que, malgré leur importance, elles restent proportionnées aux manquements commis.

 

Nina Frery et Anastacia Otrochevskii

M1 DEDH

bottom of page