Le refus d’exécution d’un mandat d'arrêt européen et la possibilité d’émission de mandat successif
(CJUE, 31 janvier 2023, C-158/21)
Le présent arrêt a été rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le 31 janvier 2023. Il traite d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil relative au mandat d’arrêt européen (MAE) et aux procédures de remise entre États membres en date du 13 juin 2002. En l’espèce, la demande est présentée dans le cadre d’une procédure pénale et de l’émission de mandat d’arrêt européen à l’encontre de plusieurs ressortissants espagnols ayant été effectuée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne).
Le Royaume de Belgique a ouvert une procédure d’exécution du MAE émis. Le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles refuse l’exécution du mandat d’arrêt pour l’un des ressortissants. La juridiction de renvoi énonce que cette décision est fondée sur l’incompétence de la juridiction pour connaître des poursuites pénales à l’encontre du requérant. En ce sens, elle se réfère à la jurisprudence de la Cour relative à la notion « d’autorité judiciaire ». Le ministère public Belge interjette appel de la décision de ne pas rendre effectif le mandat d’arrêt devant la Cour d’appel Bruxelloise, qui, à son tour rejette également l’appel. Sa décision est motivée par le fait que l’exécution du mandat d’arrêt mettrait en péril les droits de la personne concernée et la nécessité de prendre en compte le risque de violation de la présomption d’innocence. Cette situation a alors conduit la Cour suprême espagnole à surseoir à statuer en posant une question préjudicielle et ce, au visa de l’article 267 TFUE.
La Cour suprême espagnole considère que l’autorité judiciaire d’exécution ne dispose pas du pouvoir de contrôler la compétence de l’autorité judiciaire d’émission, un défaut de compétence ne constituant pas un motif de refus prévu par la décision-cadre précitée. Le refus d’exécuter un MAE ne peut être fondé sur un motif prévu uniquement par le droit national. De plus, elle considère que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour interpréter le droit espagnol et l’auraient interprété de façon erronée. Lesdites juridictions auraient dû, avant de statuer sur l’exécution du mandat, demander des précisions complémentaires. De surcroît, le risque grave de violation des droits fondamentaux ne constitue pas un motif de refus d’exécution présent dans la décision cadre. La seule admission possible du refus étant la condition que l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans l’État membre d’émission soit établie.
Les questions soumises à l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne s'articulent autour de plusieurs éléments. Tout d’abord, sur la faculté de refuser l’exécution, ensuite sur la possibilité de remise en cause de la compétence de l’autorité judiciaire d’émission par l’autorité judiciaire d’exécution mais également sur la question de l’allégation d’une atteinte aux droits fondamentaux et la possibilité de l’émission successive de MAE à l’encontre d’une personne recherchée pour donner suite à un premier MAE refusé.
Il convient donc de s’intéresser à la faculté de refuser l'exécution d’un MAE et le caractère exceptionnel de ce refus (I) avant d’évoquer le risque de violation des droits fondamentaux et la possibilité d’émettre plusieurs MAE successifs (II).
I. La question de la faculté de refus de l’exécution d’un MAE et son caractère exceptionnel
La Cour de justice fait, en premier lieu, un rappel de l’importance des principes de confiance et de reconnaissance mutuelle entre les États membres ; ces principes étant les fondements même de la mesure de MAE et donc du principe de coopération judiciaire. Le second rappel relève de l’ordre de la garantie fondamentale au droit au procès équitable, principe cardinal de l’ordre juridique de l’Union. Ces principes cardinaux orientent la réponse de la Cour dans l’arrêt sous étude. Pour la Haute juridiction, une autorité judiciaire d’exécution ne possède pas la possibilité de refuser un MAE en basant ce refus sur un motif de non-exécution uniquement tiré du droit interne. Permettre aux Etats ce type de refus revient à empêcher l’application uniforme de la décision-cadre précitée. La Cour va même plus loin en précisant que la décision de refus doit avoir un caractère exceptionnel, même dans l’hypothèse où cette dernière est prise à la suite d’un examen approprié.
Le régime est différent en matière d’exécution du MAE. Une autorité d’exécution peut faire usage d’une disposition nationale refusant un MAE pour des motifs de risque de violation d’un droit fondamental consacrés par le droit de l’Union. Cependant la portée de cette disposition ne doit pas excéder celle de la décision-cadre conformément à son interprétation jurisprudentielle. De plus, l’autorité judiciaire d’exécution n’est pas habilitée à juger de la compétence de l’autorité judiciaire d’émission. En effet, ce principe se justifie du fait que l’autorité d’exécution ne peut pas refuser l’exécution lorsqu’elle estime un défaut de compétence.
Cette première question étant réglée, la Cour s’attache ensuite à l’allégation de risque de violation conjointement à la dernière question soumise à la Cour sur la possibilité d’émission de MAE successifs.
II. L’allégation d’une violation des droits fondamentaux et la possibilité d'émission de MAE successif
La Cour précise la marche à suivre au regard de la constatation d’une possible violation du droit fondamental à un procès équitable. On se trouve dans l’hypothèse où la personne concernée soutient que l’exécution du MAE par suite d’un défaut de compétence de la juridiction d’émission conduit à la violation de ses droits. L’autorité doit procéder à un examen en deux étapes. La première consiste à savoir s’il existe un risque réel de violation de ce droit en raison de défaillances systémiques et généralisées du système juridictionnel de l’État d’émission. Eu égard à la seconde étape, il convient de regarder, de manière précise et concrète, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne encourt un tel risque en cas de remise à l'État membre. Cette analyse se fait au regard de la situation personnelle de la personne, de la nature de l’infraction et du contexte factuel. Le refus d’exécution sur la base d’un défaut de compétence de la juridiction d’émission ne peut être prononcé que si l’autorité conclut aux défaillances précitées et à un défaut manifeste de compétence.
La Haute juridiction précise que, compte tenu de l’obligation cardinale de coopération loyale, un refus sur le fondement d’un défaut de compétence doit obligatoirement être précédé d’une demande d’informations complémentaires à l’autorité d’émission selon ce que prévoit la décision-cadre. Concernant la question de l’émission de plusieurs MAE successifs contre une personne recherchée après que le premier MAE a été refusé par l’État d’exécution, la Cour soutient que la décision-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’émission de MAE successifs. Il existe cependant deux conditions. Premièrement, il faut que cette exécution n’aboutisse pas à une violation des droits fondamentaux de la personne et deuxièmement que l’émission revête un caractère proportionné.
En définitive, les possibilités de refus de MAE par l’autorité judiciaire d’exécution sont strictes. Il faut apporter la preuve de défaillances systémiques ou généralisées affectant le système juridictionnel de cet État membre mais également un défaut manifeste de compétence de la juridiction appelée à juger la personne recherchée dans l’État d’émission. En plus de conditions de refus strictes, il est également possible d’émettre deux MAE à l’encontre de la même personne recherchée. Bien que cela soit encadré par des conditions, on constate donc que le principe de coopération judiciaire prévaut.
M1 DEDH