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ALYDE

Commission européenne et lobbies nucléaires : une Europe vraiment verte ?

Jadis, la promotion de l’industrie nucléaire se justifiait aisément à la lumière de ses propriétés énergétiques longtemps ventées par les hommes politiques de tous bords. Feu cette époque depuis l’émergence de la conscience environnementale, tenants libéraux et lobbies bien installés continuent de défendre une économie plus que jamais au cœur de débats fracturant[1]. À l’aube de la réalisation des objectifs inscrits au sein du Pacte Vert pour l’Europe, Bruxelles se divise au sujet de la qualification des technologies à inscrire au centre du règlement « taxonomie verte », objet de dissidences depuis 2019.


Le Centre commun de recherche s’apprête à rendre un rapport à la Commission visant notamment à questionner : l’industrie du nucléaire peut-elle jouer un rôle dans la construction d’une Europe sans carbone d’ici 2050 ? Effectivement, ledit rapport devra permettre à la Commission de recommander, ou non, l’inscription de l’énergie nucléaire au sein du règlement « taxonomie verte » comme « combustible de transition »[2]. Si tel n’est pas le cas, l’industrie du nucléaire pourra faire ses adieux à l’accès à de nombreux financements, tant publics que privés. En effet, l’inscription en tant que « secteur d’activité durable sur le plan environnemental » au sein dudit règlement sera la condition inhérente à l’obtention de contributions en faveur des objectifs du Pacte Vert.


Si le nucléaire vient à être considéré comme « énergie polluante qui nuit considérablement à l’environnement », c’est toute une filière qui sera fragilisée dans les années à venir. Si la concurrence émergente des secteurs d’électricité issue de sources renouvelables n’était au départ pas un vecteur d’appréhension pour la filière nucléaire, son développement se faisant avec de moins en moins d’aides publics l’inquiète davantage. Car en pratique, les acteurs financiers privés sont de plus en plus réticents à accorder des prêts pour des projets nucléaires[3]. Cela se justifie notamment à la lumière du coût de production de l’énergie nucléaire, maintenant plus cher que beaucoup d’alternatives renouvelables[4]. Alors, pour faire face à la concurrence, ce secteur est forcé de dépenser davantage. Sans obtenir de financements là où la majorité de ses concurrents y auront droit pour une durée indéfinie, une lente recrudescence est assurée pour le secteur du nucléaire s’il est désireux de rester compétitif.


Quel que soit notre avis au sujet de l’ensemble de la filière nucléaire, une réalité fait face à la construction d’une transition écologique efficiente : le nucléaire représente près d’un million d’emplois en Europe[5]. Objectivement, une lourde fragilisation d’un tel secteur poserait des problématiques de réorientation des salariés de l’industrie nucléaire. Comment les rediriger vers des secteurs plus verts ? Là où l’ensemble du secteur des énergies renouvelables représente environ 1 198 millions d’emploi en Europe[6], seraient-ils prêts à employer d’anciens salariés du nucléaire ? Le cas échéant, des formations devraient-elles être mises en place au niveau européen ? Des questions qui en appellent tant d’autres et qui doivent pourtant être prises en considération par Bruxelles dans l’intérêt de conserver une économie internationalement compétitive. L’absence d’accès du nucléaire aux financements de l’UE questionnera inéluctablement tant Bruxelles que ces industries sur ces points, expliquant par ailleurs les fortes mouvances en cours autour de ce règlement.


Effectivement, cette actualité interpelle d’autant plus à deux égards. En premier lieu, elle est révélatrice d’un greenwashing tout au plus implicite du côté de certains producteurs d’électricité issue d’énergie nucléaire. En second lieu, elle arbore certains comportements tout du moins conventionnels du côté des lobbyistes du gaz et du nucléaire. Chacun à leur aune participe à la bienfaisance de l’autre, tous deux envieux de rompre avec une image « nucléo-nuisible ».


Le greenwashing, tendance marketing visant à se donner une image écologique responsable - en réalité trompeuse -, fait l’objet d’arrêts et de débats au sein d’une communauté semble-t-il de moins en moins naïve. Récemment, c’est la Cour d’appel de Paris qui a examiné les plaintes de diverses associations de protection de l’environnement à l’encontre du premier producteur mondial d’électricité : EDF. Lesdites associations considéraient que certaines publicités d’EDF, dont une mettant en avant « 98% d’électricité produite en France sans CO2 », étaient mensongères[7]. En effet, EDF ne comptabiliserait que les émissions directes des centrales nucléaires et non les quantités de gaz à effet de serre émises lors de la totalité de leurs processus de fonctionnement. Alors que le Jury de Déontologie Publicitaire confirmait que les publicités étaient « de nature à induire le public en erreur sur la réalité des actions menées par EDF »[8], les associations demanderesses ont été déboutées de leurs demandes pour certains motifs de fond. EDF reste donc aujourd’hui juridiquement libre de promouvoir une publicité douteuse au grand public puisque le Jury de Déontologie Publicitaire n’a qu’une compétence consultative.


Par ailleurs, EDF est loin d’être en marge des problématiques entourant le règlement « taxonomie verte ». Ces derniers temps, c’est l’ONG Reclaim Finance qui a analysé les différents registres de transparence de l’UE concernant les actions des lobbies. Bien qu’ils soient largement assumés au sein de l’UE, ladite ONG a constaté que plus de 52 réunions entre lobbies des industries gazières et nucléaires et décideurs politiques européens ont eu lieu entre Mars et Août 2020, à l’approche de l’adoption initiale du règlement taxonomie verte[9]. Plus encore, des grands groupes tels qu’EDF ou Shell emploient des dizaines de salariés pour participer à l’intégration de l’énergie nucléaire comme « combustible de transition » au sein du règlement via ces lobbies. En ce sens, ces entreprises verseraient environ 87 millions d’euros par ans dans la participation globale auxdits lobbies. A contrario, les lobbies représentants des ONG tels que Greenpeace ou WWF n’auraient totalisé que 7 réunions en lien avec les décideurs européens à l’égard du même règlement, pour une cause qui leur est pourtant loin d’être insensible. De plus, ceux-ci n’afficheraient qu’un budget de 2 millions d’euros pour l’ensemble de leurs activités de lobbying[10], bien loin du budget dépensé par les seuls groupes pétroliers.


Ici n’est pas question de remettre en cause la légitimité des différents lobbies de l’UE mais seulement de mettre en exergue la différence de moyens entre ceux-ci. Une telle disparité ne peut permettre de forger une concurrence aussi active qu’efficace. Alors, un tel déséquilibre sera-t-il suffisant pour influencer la Commission ? Qui d’EDF ou de Greenpeace, la Commission mettra en lumière les intérêts ? Le rapport du Centre commun de recherche éclaircira sans aucun doute la direction dans laquelle Bruxelles s’engagera à l’aube des avancées environnementales souhaitée ces prochaines années.


Valentin DURAND

Étudiant du M1 Droit européen des affaires, promotion 2020-2021

[1] : Nabil Wakim, « Montebourg, Accoyer et Chevènement unis pour la défense du « patrimoine nucléaire français », 15 février 2021, Le Monde. [2] : Fréderic Simon, « Le nucléaire est confronté à « beaucoup d’incertitudes » à l’approche de l’évaluation environnementale de l’UE », 16 février 2021, Euractiv. [3] : Fréderic Simon, « Le nucléaire est confronté à « beaucoup d’incertitudes » à l’approche de l’évaluation environnementale de l’UE », 16 février 2021, Euractiv. [4] : Greenpeace, « Le nucléaire est-il une solution pour le climat ? », 8 février 2021. [5] : Donnée issue du site de Sfen, « Le nucléaire dans le monde ». [6] : Donnée comptabilisée pour l’année 2018 : Statistica Research Department, « Nombre d’emplois du secteur de l’énergie renouvelable par pays et technologie 2018 », 22 août 2019. [7] : Cour d’Appel de Paris, 23 janvier 2020. [8] : Avis du Jury de Déontologie Publicitaire, 11 décembre 2015. [9] : Annabelle Grelier, « Les lobbyistes du gaz et du nucléaire se déchaînent à Bruxelles », 27 août 2020. [10] :: Annabelle Grelier, « Les lobbyistes du gaz et du nucléaire se déchaînent à Bruxelles », 27 août 2020.

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