Le 5 mai 2020, la Cour constitutionnelle allemande a rendu un arrêt concernant une décision de la Banque Centrale européenne (BCE) relative à un programme d’achats d’actifs publics. Cet arrêt est une réponse à la décision préjudicielle rendue par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 11 décembre 2018[1].
La Cour constitutionnelle allemande ne conteste pas le programme d’achats d’urgence face à la pandémie de Covid-19 (PEPP), décidé par la BCE en mars 2020. Au contraire, les juges allemands doutent du bien-fondé du programme d’actifs du secteur public sur le marché secondaire (PSPP) adopté par la BCE en mars 2015. Selon eux, la Cour de justice, au moment de contrôler la légalité de ce programme, n’aurait pas remplie sa mission juridictionnelle. La Cour de justice aurait en effet manqué de contrôler le respect par la BCE du principe de proportionnalité. Pour résumer les conclusions du juge allemand, il est demandé d’une part au gouvernement fédéral de prendre des mesures vis-à-vis des choix de politique monétaire de la BCE, et d’autre part à la BCE de s’expliquer sur les mesures prises dans un délai de trois mois.
Le juge de Karlsruhe estime également que l’institution européenne a agi ultra vires. Autrement dit, celle-ci aurait dépassée les limites de ses compétences et aurait ainsi violée l’article 5 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Notons immédiatement qu’une telle décision pourrait paraître défavorable à l’Union européenne étant donné le contexte que nous connaissons. Néanmoins, bien que manifeste d’une « guerre des juges », cet arrêt a impacté favorablement les décisions politiques européennes prises à compter du 5 mai 2020.
L’arrêt du 5 mai 2020 : expression d’une « guerre des juges » résultant en une action politique forte
Le conflit entre juge européen et juge allemand n’est pas nouveau. Depuis le fameux arrêt « So Lange I » du 29 mai 1974, il est bien établi que le juge constitutionnel allemand se réserve de veiller au respect, par les institutions européennes, de la répartition des compétences entre Union européenne et États membres. De plus, la Cour de Karlsruhe insistait, au moment de sa décision portant sur le traité de Maastricht[2], sur une nécessaire « communauté de stabilité »[3]. En d’autres termes, l’Allemagne acceptait l’union économique et monétaire tant que l’Union européenne respectait la répartition des compétences, au nom du principe de démocratie. Cette conception est résumée dans une décision de la Cour constitutionnelle allemande [4].
Dès lors, dans quelle mesure la décision du 5 mai 2020 est-elle l’expression d’une « guerre des juges » jusqu’à présent en sommeil ?
Les injonctions faites par la Cour constitutionnelle allemande tant au gouvernement allemand qu’à la BCE illustrent parfaitement cette volonté du juge national de conserver une certaine marge de manœuvre dans l’appréciation du droit européen. En effet, juge de droit commun du droit de l’Union européenne au titre de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le juge allemand s’autorise à élargir son champ d’action dans son arrêt du 5 mai 2020 en réfutant une décision préjudicielle rendue par la CJUE. Bien que fidèle à une certaine tradition, les juges de Karlsruhe semble participer à l’affaiblissement de l’autorité de la CJUE et, par voie de conséquence, du droit européen. Cet aspect n’a d’ailleurs pas manqué d’enthousiasmer les chefs populistes à travers l’Europe.
Rappelons cependant que le droit européen prime sur les droits nationaux depuis l’arrêt Costa de 1964 rendu par la Cour de justice. De plus, les décisions préjudicielles rendues par la CJUE ne sont pas censées faire l’objet d’une telle défiance par les juridictions nationales. Dès lors, les juges allemands devraient être considérés en tort et la Commission européenne, comme elle l’a déjà suggéré, pourrait engager une procédure de manquement au titre de l’article 260 TFUE. La CJUE a également réagi en publiant un communiqué de presse rappelant l’importance de la primauté et de l’unité du droit de l’Union européenne.
Toutefois, soulignons que le juge allemand ne se place pas comme anti-européen. Il mène simplement sa politique habituelle de contrôle du respect par les institutions européennes de la répartition des compétences. De plus, cet arrêt du 5 mai 2020 semble être l’une des composantes d’un coup de tonnerre politique.
Emmanuel Macron et Angela Merkel ont annoncé, le 18 mai 2020, un plan de relance de 500 milliards d’euros pour répondre à la crise sanitaire et économique. Cette initiative franco-allemande, même si elle doit encore être acceptée par les 25 autres États membres, marque un tournant dans la politique de la chancelière Merkel. Frileux à toute mutualisation de dettes jusqu’à présent, Berlin a changé de paradigme et tente de prôner une véritable action de solidarité européenne. Même si cette initiative venait à échouer, la dimension politique et symbolique demeurerait forte et servirait Angela Merkel qui, en fin de mandat, chercher à laisser son empreinte en matière européenne.
En conclusion, l’arrêt du 5 mai 2020 rendue par la Cour constitutionnelle allemande semble présenter deux visages. D’une part, cette décision pourrait être vue comme une contestation de l’autorité de la CJUE et du droit européen ; d’autre part, il peut être envisagé comme ayant été un tremplin débouchant sur une action européenne ambitieuse et défendue par un couple franco-allemand renforcé.
[1] CJUE,Gde ch., 11 décembre 2018, Weiss, C-493/17 [2] BVerfGE 89, 155 – Maastricht [3] Ibid [4] BVerfGE 126, 286 – Ultra-vires-Kontrolle Honeywell
Étudiant du M2 Droit européen des droits de l'Homme, promotion 2019-2020, Président de l'Alyde (2019-2020)
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