Le 11 mars dernier, l’Organisation mondiale de la santé déclarait que le coronavirus réalisait une pandémie. Avec une propagation fulgurante sur tous les continents, l’ensemble des Etats a dû s’armer pour contrer et endiguer cette menace. Le Covid-19 fut alors à l’origine de mesures assez inédites, telle que l’interdiction de déplacement des citoyens. Si la population européenne s’est retrouvée privée de sa liberté de circuler pendant quelques semaines afin de lutter contre la prolifération du virus, le « confinement » initial d’une catégorie d’individus s’est montré, lui, particulièrement problématique. Il s’agit des prisonniers qui sont regroupés, voire entassés, dans des centres pénitentiaires.
Il ne faut en effet pas négliger le sort des détenus car ils semblent plus exposés au Covid-19. Cette vulnérabilité soulève des interrogations concernant le respect des droits de l’Homme dans les cellules, dans le cadre de cette crise sanitaire. Les droits de l’Homme appréhendés ici seront seulement ceux garantis dans l’ordre juridique de l’Union. La Cour de Justice a précisé en 1970, dans l’important arrêt Internationale Handelsgesellschaft, qu’elle s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres pour identifier des droits fondamentaux. De plus, l’appellation droits fondamentaux qui est également retrouvée dans l’intitulé de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne doit pas porter à confusion. En effet, au niveau international et européen, il est constaté une assimilation des droits de l’Homme aux droits fondamentaux. Ces notions peuvent dès lors être considérées comme équivalentes dans le cas de leur étude au niveau européen. Par ailleurs, sera privilégiée au cours de cette maigre réflexion la Charte précitée, instrument de protection des droits fondamentaux le plus moderne du monde.
Cette réflexion sur les droits de l’Homme dans ce contexte précis s’explique par la surpopulation carcérale chronique en France. Au 1er janvier 2020, il y avait environ 71 000 détenus pour 61 000 places opérationnelles. Or, les consignes martelées ces dernières semaines étaient d’observer les gestes barrières. Ces gestes demandent par exemple de rester à une distance d’un mètre les uns des autres ou de porter un masque si cette distance ne peut être respectée. Est aisément déduite la difficulté de respecter ces gestes au sein de centres pénitentiaires surpeuplés. Comment lutter contre la propagation d’un virus lorsque votre espace de vie est composé d’inconnus, qu’il fait l’objet d’un brassage humain perpétuel et connaît un entassement persistant ? Comment ne pas se sentir vulnérable lorsque la transmission de ce virus est si facile et sournoise ? L’Observatoire International des prisons pointe du doigt des cellules exigües, des dortoirs de huit personnes, une promiscuité quasi-permanente avec les promenades quotidiennes et douches collectives ainsi que l’absence regrettable de gel hydro-alcoolique et de masques. Et bien que ces centres soient peuplés de personnes vulnérables, notamment des individus relativement âgés ou encore des toxicomanes, les détenus symptomatiques ne portent pas systématiquement de masques.
Face à ces situations problématiques, plusieurs droits de la Charte peuvent être bafoués. Plus précisément, le respect de trois droits semble avoir été galvaudé.
Le Covid-19 étant un virus potentiellement mortel et les centres pénitentiaires ne garantissant pas les mesures sanitaires exigées, cette exposition importante des détenus constitue tout d’abord une atteinte au droit à la vie, garanti à l’article 2. Or ce droit est capital et primordial dans toute société. Une atteinte à celui-ci est donc grave et préoccupante.
De plus, l’article 35 énonçant la protection de la santé peut avoir été violé. En effet, selon cet article, toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Or dans les centres pénitentiaires il n’est pas possible de réaliser efficacement cette prévention étatique par le respect des gestes barrières.
Surtout, il serait possible de mobiliser l’article 4 interdisant les traitements inhumains ou dégradants. Des violations de ce droit sont régulièrement reconnues en présence de mauvais traitement des détenus. Et la France n’a pas un comportement exemplaire en la matière. Elle a été de nombreuses fois condamnée pour torture ou traitements inhumains et dégradants par la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment lors du célèbre arrêt Selmouni c. France de 1999 et encore récemment dans un arrêt du 5 décembre 2019, J.M. c. France et dans un arrêt du 30 janvier 2020, J.M.B et autres c. France. Il est alors possible que les conditions de vie des prisonniers durant cette crise sanitaire constituent une violation de l’article 4.
D’ailleurs, de nombreuses plaintes de détenus contre l’État s’accumulent. Elles sont généralement dirigées contre le Premier ministre Édouard Philippe afin d’engager sa responsabilité pénale car le Président est irresponsable au cours de son mandat. Ils s’estiment globalement victimes de la mauvaise gestion de la crise du coronavirus par l’exécutif et déplorent une non-assistance à personne en danger. L’État a réagi assez tardivement face à leur situation problématique et il s’est surtout concentré sur la surpopulation carcérale, à laquelle il a mis fin en libérant plus de 13 000 détenus depuis le début du confinement. Toutefois, des maisons d’arrêt restent sujettes à cette surpopulation, notamment en Ile-de-France, où l’Observatoire International des prisons dénonce des taux d’occupation de 157% ou 143%.
L’action étatique a donc été tardive et insuffisante malgré les réclamations des syndicats et des organisations de défense des détenus. Par ailleurs, partout dans le monde, des prisons ont été touchées par le coronavirus, plus ou moins fortement, témoignant de la vulnérabilité des centres pénitentiaires face à une pandémie. La plus grande prison d’Haïti, insalubre et surpeuplée, lutte actuellement contre ce virus car de nombreux détenus ont été contaminés. Néanmoins, il faut admettre qu’en France les prisons ont été beaucoup moins touchées par le coronavirus que les EHPAD par exemple. En effet, la moitié des décès comptabilisés en France concernent des personnes hébergées en maisons de retraite. La crise semblerait finalement mieux gérée par l’administration pénitentiaire et le bilan des décès et des personnes infectées dans ces centres jouerait alors en faveur de l’État pour minimiser son action défaillante. Toutefois, la faible part des détenus âgés de plus de soixante ans, moins de 4% des prisonniers environ, peut expliquer ce bilan.
Il faut désormais attendre que le juge français se prononce sur les diverses plaintes afin de savoir si la négligence envers les détenus durant cette crise constitue une violation des droits fondamentaux, permettant d’engager la responsabilité de l’État.
Étudiante du M2 Droit global du changement climatique, promotion 2020-2021
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