Le 3 décembre 2020, la Commission européenne a présenté son Plan d’action pour la démocratie européenne[1]. Ce plan énonce des mesures afin de promouvoir des élections libres et équitables, lutter contre la désinformation mais aussi renforcer la liberté des médias. La liberté des médias est un maillon essentiel d’une société démocratique, permettant notamment de contrôler les institutions publiques. Consacrée aux articles 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, elle est un rouage crucial à la préservation de l’État de droit[2].
Depuis de nombreuses années, des institutions dont l’Union européenne et le Conseil de l’Europe alertent sur les atteintes portées à la liberté des médias et aux journalistes en Europe. C’est notamment cet état de fait qui a poussé la Commission européenne à proposer ce plan d’action comportant des mesures concrètes pour garantir l’indépendance et le pluralisme des médias.
Une partie du premier rapport annuel sur l’État de droit du 30 septembre 2020[3] présenté par la Commission européenne est consacrée au pluralisme et la liberté des médias. Si la Commission européenne rappelle que « [t]ous les États membres disposent de cadres juridiques pour protéger la liberté et le pluralisme des médias »[4], elle y pointe néanmoins de nombreuses atteintes.
Ainsi, l’indépendance formelle des autorités de régulation des médias vis-à-vis de l’exécutif n’est pas gage de leur indépendance factuelle, comme en Pologne ou à Malte. Aussi, le manque de ressources de ces dernières diminue leur capacité à exercer leurs missions, à l’instar de l’autorité bulgare. Il existe des pays où la transparence quant à la propriété des médias n’est pas assurée, l’identité de leur propriétaire étant pourtant une information essentielle pour garantir leur fiabilité et leur indépendance, comme en République tchèque[5]. La publicité publique – toute publicité dont le coût est versé aux médias par les pouvoirs publics (nationaux, régionaux, locaux) et les institutions et entreprises publiques[6] – est également une source de préoccupation majeure de la Commission européenne. En effet, l’existence de ce soutien financier par l’État est susceptible de conditionner l’existence de médias à but non lucratif. Qui plus est, la répartition équitable et transparente de la publicité publique est gage de l'indépendance des médias. En la matière, la Hongrie et l’Autriche ne fournissent pas de garanties suffisantes pour dissiper tout soupçon d’influence politique. Ce faisant, une des plus grandes préoccupations de la Commission européenne est la pression politique exercée sur les médias. Ces pressions portent effectivement gravement atteinte à l’indépendance des médias et donc à la fiabilité de l’information. À titre d’exemple, le conglomérat hongrois de médias KESMA, rassemblant plus de 470 médias favorables au gouvernement, est une menace certaine pour le pluralisme des médias. Il faut également citer le cas de la France où la situation devient de plus en plus préoccupante. Le 28 novembre 2020, 72 acteurs médiatiques français ont signé une tribune dénonçant l’ingérence des pouvoirs publics, ces derniers exigeant une validation de leurs reportages[7]. S’ajoute à cela le très controversé article 24 de la loi « Sécurité Globale »[8]. Après une alerte de 5 rapporteurs sur son incompatibilité avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme[9], Michelle Bachelet, la Haut-commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU a demandé le 9 décembre à ce que cet article soit retiré[10].
Le Conseil de l’Europe lui-aussi s’intéresse tout particulièrement aux libertés d’expression et d’information. Dans cette optique a été créée le 4 décembre 2014 une plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes[11]. Un rapport est dressé chaque année pour établir un bilan. Dans son rapport de 2020[12], le Conseil de l’Europe fait état de l’année 2019, la décrivant comme « un champ de bataille intense et souvent dangereux pour la liberté de la presse et la liberté d’expression »[13]. En effet, la plateforme susmentionnée a enregistré pas moins de « 142 menaces graves pesant sur la liberté des médias, dont 33 agressions physiques de journalistes, 17 nouveaux cas de détention et d’emprisonnement, 43 cas de harcèlement et d’intimidation et deux nouveaux cas d’impunité pour meurtre »[14]. Le rapport rappelle que deux journalistes, Lyra McKee et Vadym Komarov, ont été tués en 2019 respectivement lors d’une manifestation en Irlande du Nord et pour avoir dénoncé des actes de corruption en Ukraine, après des menaces physiques et juridiques[15]. Fin 2019, pas moins de 105 journalistes étaient en détention en Turquie, en Azerbaïdjan, en Russie, ce nombre montant à 119 en décembre 2020 dans l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe. Actant l’état insatisfaisant de la liberté des médias en Europe, le Conseil alerte sur la nécessité d’intervention massive des États et institutions publiques en la matière.
C’est dans cette situation plus que préoccupante que la Commission européenne a donc présenté des mesures pour renforcer la liberté des médias.Déplorant une « situation alarmante »[16], tout en notant des initiatives pour garantir la sécurité des journalistes, la Commission axe son action en la matière en trois temps. Il est tout d’abord prévu de mettre en place un Forum européen des médias d’information, afin d’organiser un dialogue structuré. Ce dernier réunira des acteurs de tous horizons, des autorités nationales de régulation des médias à des experts du Conseil de l’Europe en passant par des autorités judiciaires. Outre une recommandation sur la sécurité des journalistes, complétant le rapport 2020 sur l’État de droit dans l’Union, est prévue l’élaboration du projet pilote « Media Freedom Rapid Response »[17]. Il s’agira notamment de procurer une aide juridique et un soutien pratique – comme un abri – aux journalistes. Enfin, le programme « Europe créative » 2021-2027[18] alloue des fonds destinés à la promotion du pluralisme des médias.
Afin de lutter contre les poursuites-bâillons[19], la Commission européenne prévoit la création d’un groupe d’experts réunissant des journalistes, juristes et universitaires au début de l’année 2021. L’objectif est la présentation, d’ici la fin de l’année prochaine, d’une initiative visant à protéger les journalistes et la société civile contre les poursuites-bâillons.
De plus, le plan prévoit une coopération renforcée entre les autorités de régulation des médias européennes et les réseaux de journalistes afin d’élaborer des normes professionnelles à l’échelle de l’Union.
Enfin, en vue de soutenir le pluralisme des médias, la Commission européenne encourage toute mesure garantissant une répartition transparente et équitable de la publicité d’État. Aussi, elle cofinancera le nouvel Instrument de surveillance de la propriété des médias. Il s’agit d’un « projet pilote visant à créer une base de données répertoriant ces informations et accessible au public », permettant in fine de déterminer de degré d’indépendance des médias au sein des pays de l’Union.
La liberté des médias en Europe est aujourd’hui en danger, en particulier dans les pays d’Europe centrale et orientale. Leur pluralisme, leur indépendance et leur liberté sont la clef de voûte de l’État de droit dans une Europe démocratique. Le Plan d’action pour la démocratie européenne est heureusement ambitieux car nécessaire pour faire face aux menaces auxquelles les médias sont confrontés. L’avenir nous dira s’il atteindra ses objectifs et si ces derniers auront été suffisants.
Étudiant du M2 Droit européen des affaires, promotion 2020-2021 et Vice-Président de l'ALYDE
[1] Commission européenne, Communication relative au plan d’action pour la démocratie européenne, 3 décembre 2020. [2] Valeur fondamentale de l’ordre juridique de l’Union européenne, consacrée à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne. [3] Commission européenne, Rapport 2020 sur l'état de droit : La situation de l'état de droit dans l'Union européenne, 30 septembre 2020. [4] Ibidem, page 19. [5] Ibidem, page 21 : « Les entreprises du secteur des médias ne sont pas tenues de révéler les structures de leur propriété, les modifications éventuelles apportées à celles-ci ou toute information relative au bénéficiaire effectif de la société. ». [6] Définition de l’Instrument de surveillance du pluralisme des médias [7] TRIBUNE. "En exigeant une validation de nos reportages, les pouvoirs publics veulent s’octroyer un droit à la censure", 28 novembre 2020. [8] Cet article prévoit de pénaliser la diffusion d’image de personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de leur fonction, dans le but de porter atteinte à leur intégrité. [9] Déclaration de 5 rapporteurs du Haut-Commissariat aux droit de l’Homme de l’ONU du 3 décembre 2020. [10] Déclaration de Michelle Bachelet, Haut-commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU, 9 décembre 2020. [11] Mémorandum d’accord sur la création et le fonctionnement d’une Plateforme sur la liberté d’expression visant à renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, 4 décembre 2014. [12] Rapport annuel 2020 des organisations partenaires de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes. [13] Ibidem, page 7. [14] Ibidem. [15] Rapport 2020 sur l'état de droit : La situation de l'état de droit dans l'Union européenne, 30 septembre 2020, page 15. [16] Ibidem. [17] Media Freedom Rapid Response [18] Programme « Europe créative » 2021-2027. [19] Commission européenne, Communication relative au plan d’action pour la démocratie européenne, 3 décembre 2020, page 17 : « poursuites infondées ou exagérées engagées par des organes de l’État, des sociétés commerciales ou des personnes puissantes contre des parties plus faibles qui expriment des critiques ou communiquent des messages dérangeants pour les plaideurs, sur une question d’intérêt public, pour en encourager la censure »
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