Conséquence du Brexit et de l’entrée en vigueur de l’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni, les difficultés d’approvisionnement en Irlande du Nord participent à créer un sentiment de trahison chez les unionistes fidèles à la Couronne. Depuis une semaine, Belfast vit au rythme des émeutes, le spectre du retour des « troubles » est plus que jamais présent, alors que les Nord-Irlandais avaient largement approuvé le remain en 2016.[1][2]
L’Ulster sujet à un dispositif adapté aux enjeux.
Rapidement oublié dû à l’agitation liée au covid, le 25 mars dernier, la Commission a mis en demeure le Royaume-Uni pour violation du droit international dans le cadre du protocole Nord-Irlandais. Ce dernier vise à préserver l’accord du Vendredi saint, qui fut conclu après trois décennies de « troubles » meurtriers causant plus de 3500 morts, en levant notamment l’établissement d’une frontière terrestre sur l’île d’Irlande. Ledit protocole place ainsi la frontière en Mer d’Irlande, sous l’océan, et solutionnent les problématiques liées aux échanges commerciaux avec le marché unique. Les produits nord-irlandais continueront de circuler à l’intérieur du marché unique sans contrôle, les produits britanniques à destination de l’UE transitant par l’Ulster seront contrôlés aux ports d’Irlande du Nord. A la fin d’une première période de 4 ans suivant la fin de la période de transition, le gouvernement nord-irlandais devra se prononcer pour reconduire ce système ou l’abandonner.
De cette façon, le protocole Nord-Irlandais ne retient pas le « backstop » âprement négocié par Michel Barnier et Theresa May, mais un dispositif plus complexe négocié par Boris Johnson. Ainsi, au terme dudit protocole, l’accord du Vendredi saint est préversé, et l’Ulster est intégrée dans le même temps à la fois au territoire douanier du Royaume-Uni et de l’Union européenne, bénéficiant dès lors des avantages du marché unique, mais créant une situation ad hoc, permettant de garder les 500km de frontière terrestre ouverte.[3] Dans cette situation, la conformité des produits nord-irlandais devant répondre aux exigences de l’Union européenne peut être mise perspective dans les traités commerciaux prochainement négociés par le Royaume-Uni.
Une discorde latente entre Londres et Bruxelles.
Cependant, les Britanniques ont enfreint le protocole Nord-Irlandais, provoquant l’ire de l’Union. En effet, le gouvernement Johnson a pris la décision unilatérale, sans discussion ou concertation avec ses partenaires européens, d’allonger la période de transition prévue d’un mois à 6 mois, repoussant l’application du protocole à Octobre 2021 au lieu de Mars 2021 comme initialement prévu. Il serait d’ailleurs dans les plans du gouvernement Britannique d’allonger de facto la période de transition de deux ans.[4] En réponse, le Parlement européen a dans la foulée, décidé de reporter sine die le vote pour la ratification de l’accord post-Brexit et de libre-échange entre l’UE et le Royaume-Uni, laissant planer l’ombre d’un no-deal tant redouté, en attendant la résolution de la situation Nord-Irlandaise. Laissant la situation actuelle en sursis, et dans l’attente d’une réponse des Britanniques à leur mise en demeure. Ces derniers avaient déjà précisé de manière informelle, que le report unilatéral des périodes de transition est monnaie courante dans les accords de commerce, ce que la Commission a rejeté d’un ton ferme. Les Britanniques ont jusqu’au 15 avril pour répondre à la mise en demeure, et un mois supplémentaire pour son examen, avant que la Commission puisse saisir la CJUE d’une procédure contentieuse.[5]
Le protocole Nord-Irlandais ouvre néanmoins la perspective pour les Britanniques de pouvoir aligner leur nouvelle zone de libre-échange aux règles européennes. Permettant dès lors d’élargir et faciliter le marché global grâce à une uniformité étendue du marché basée sur les règlementations européennes, en limitant au maximum tout heurt dans le commerce international. Ce qui ressemblerait à s’y méprendre, à un statu quo pre-Brexit, sans le bénéfice des libertés de circulation entre l’UE et le Royaume-Uni. Bien que les conservateurs Britanniques clament « Brexit Means Brexit » dans une volonté de « retrouver » leur pleine et entière souveraineté. Si les Britanniques ne souhaitent pas s’aligner sur les règles européennes, ce report unilatéral pourrait être un nouveau coup de tête pour montrer l’inadéquation du protocole conclu en gagnant du temps comme ils ont toujours chercher à faire tout au long des négociations du Brexit. Et si Boris Johnson comptait s’appuyer sur son allié américain, la nouvelle tête de l’exécutif Joe Biden n’a pas oublié ses racines catholiques irlandaises et les intérêts de son pays. Le rapprochant ainsi des républicains Irlandais et d’une position pro-UE lors de ses premiers contacts son homologue Britannique.[6]
L’avenir incertain d’un Royaume en désunion.
Les velléités écossaises d’indépendance ont été renforcé par le Brexit, qui a donc réveillé le rêve des nationalistes et républicains irlandais d’une réunification. En effet, en application de l’accord du Vendredi saint, un référendum d’indépendance a été réclamé, pour lequel les conditions légales semblent réunies.[7] Cependant, après la High Court du Royaume-Uni, la Cour d’appel de Belfast rejeta les espoirs à court terme de réunification.[8] Cela alors que les unionistes ont remporté de peu les élections générales de 2019 à Belfast avec des résultats globaux en baisse, mais que le gouvernement de la République d’Irlande est au Sinn Féin, parti républicain qui s’est montré ouvert à la réunification de l’île. L’intégrité actuelle du Royaume-Uni semble plus que jamais fragile, alors que les Ecossais s’apprêtent à se rendre aux urnes pour les élections générales du 6 mai 2021. Jusqu’à aujourd’hui, la majorité des sondages s’accordent sur une victoire entre 50 à 52% du SNP, au pouvoir depuis 2007, contre 42% lors des élections de mai 2016 à la veille du référendum sur le Brexit. Avec une tête de liste, Nicola Sutrgeon, récemment lavée des accusations qui pesaient sur l’avenir de la campagne et des prochaines discussions avec le premier ministre pour l’organisation d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. [9][10]
Dans l’UE, des tensions sans désunions.
L’Union européenne ne reste pas sans division en son propre sein. En visite à Ankara pour reconduire l’Accord sur l’immigration entre la Turquie et l’UE, l’affront fait contre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen montre le mépris du président turc envers les femmes, et l’UE. Mais la scène, par l’absence totale de réaction du président du Conseil européen, témoigne des relations tendues entre Charles Michel et la présidente von der Leyen. En promettant une « Commission géopolitique » dès la prise de ses fonctions, Ursula von der Leyen irriterait le président du Conseil européen, qui lui reprocherait d’être trop présente sur la politique étrangère, tout en ayant des opinions divergentes.[11]
La distribution des vaccins en Europe illustre aussi des tensions entre pays. Ainsi, l’Autriche, la Slovénie et la République Tchèque n’ont pas témoigné de solidarité intra-européenne.[12] Et il n’est pas passé inaperçu que la Commission européenne a pris la décision de conditionner l’export de vaccins produits sur le territoire de l’UE à l’exigence de réciprocité et de proportionnalité.[13] La présidente de l’exécutif européen Ursula von der Leyen a ainsi indiqué que le consortium Suédo-Britannique « devra d’abord rattraper son retard avant d’exporter hors de l’UE des doses qui y sont produites ». Ce critère de réciprocité arrive après un mois de tensions entre Londres et Bruxelles qui accusait le Royaume-Uni de ne pas exporter les doses de vaccins fabriqués sur son territoire, notamment ceux destinés à l’UE. Alors qu’AstraZeneca annonce d’importants retards de livraison ne prévoyant de livrer qu’un tiers de sa commande initiale dans les temps. Pour rappel, l’UE a exporté près 35 millions de doses à 31 pays.[14] Cela alors qu’au 31 mars, les deux tiers (21 millions) des doses administrées au Royaume-Uni sont de manufactures européennes.[15]
Longtemps mise à l’écart des préoccupations de Bruxelles par les Etats membres, l’instauration d’une politique de santé commune, s’avère être un chemin de croix même en pleine crise sanitaire. Pour autant, afin de répondre sur le plan médical aux situations de crises sanitaires tels que nous le connaissons actuellement, il est en projet de créer d’ici la fin 2023 une autorité pour la réaction aux urgences sanitaires : la Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA), pour l’instant calquée sur le modèle américain de la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority).[16]
Dans ce contexte tendu, la perspective de relations apaisées avec entre l’Union européenne et le Royaume-Uni semble se dissiper à mesure que la transition s’éternise. Mais si le Royaume-Uni semble se désunir, l’Union, après quelques balbutiements et un jeu dispersé des Etats membres fait désormais face à la crise sanitaire qui balaie le continent, il restera désormais à réussir à faire face à une crise sociale et économique pour les années à venir.
Étudiante du M2 Droit européen des affaires, promotion 2020-2021
[1] Rory Carroll, The Guardian, The Fear is that this will get bigger: the six night of rioting in Northern Ireland, 08 avril 2021 [2] Maxime Bourdier, Huffpost, Royaume-Désuni : l’Ecosse et l’Irlande du Nord ont voté contre le Brexit, 24 juin 2016. [3] Site internet de la Commission européenne > Accueil > L’Union européenne et le Royaume-Uni > L’accord de retrait entre l’UE et le Royaume-Uni > Protocole sur l’Irlande du Nord : https://ec.europa.eu/info/relations-united-kingdom/eu-uk-withdrawal-agreement/protocol-ireland-and-northern-ireland_fr# [4] Lisa O’Carroll, The Guardian, EU’s article 16 blunder has focused minds on Northern Ireland, 4 février 2021. [5] Steven Erlanger, The New York Times, Europe Says Britain Is Violating International Law Over Northern Ireland, 15 Mars 2021. [6] Adam Payne, Thomas Colson, Business Insider, Joe Biden’s Irish supporters are celebrating the victory of their ‘favorite uncle’ as he faces Boris Johnson over Brexit, 16 novembre 2020 [7] Voir section 1[1](2) du Northern Ireland Act 1998, faisant notamment référence à la nécessité d’un apparent soutient de la majorité de la population nord-irlandaise pour que le secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord décide à sa discrétion de l’organisation d’un référendum. En l’espèce, les Nords-Irlandais ont voté à 55% contre le Brexit, et des sondages montrent un soutien croissant pour la réunification, 51% en Janvier selon le Sunday Times, journal d’orientation pro-conservateur et pro-Brexit : https://www.thetimes.co.uk/article/union-in-crisis-as-poll-reveals-voters-want-referendum-on-scottish-independence-and-united-ireland-wwzpdlg7b [8] Her Majesty Court of Appeal in Northern Ireland, Mccord, Re Application for Judicial Review [2020] NICA 23, STE11241, 27.04.2020 ; le Secrétaire d’État en charge de l’Irlande du Nord a un pouvoir discrétionnaire selon l’accord du Vendredi saint, il n’a pas à justifier son refus d’organiser ledit référendum même en cas de sondages très favorables à la réunification. [9] Voir page Wikipédia de référencement des sondages : Opinion polling for the 2021 Scottish Parliament election : https://en.wikipedia.org/wiki/Opinion_polling_for_the_2021_Scottish_Parliament_election [10] Cécile Ducourtieux, Le Monde, Nicola Sturgeon, première ministre écossaise, blanchie d’accusations de mensonges, 23 Mars 2021. [11] Anne Rovan, Le Figaro, L’affront subi par Ursula von der Leyen à Ankara fait polémique, 08 avril 2021. [12] Le Monde avec AFP, Le partage de 10 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech provoque une mini-crise au sein de l’UE, 02 avril 2021. [13] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_1352 [14] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_1121 [15] Marie-Pierre Vérot, Angélique Bouin, Richard Place, FranceInter, Covid : Sans l’UE, la vaccination au Royaume-Uni n’aurait pas été si rapide, 31 Mars 2021. [16] https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12870-European-Health-Emergency-Preparedness-and-Response-Authority-HERA-
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