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Non-violation de la Convention par la France après une nouvelle condamnation du directeur de l’hebdomadaire Le Point pour diffamation envers Jean-François Copé

CEDH, 5 décembre 2024, Giesbert et autres c. France, n° 835/20

L’arrêt présenté a été rendu le 5 décembre 2024 par la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après « la Cour »), qui a conclu à la non-violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (« la Convention »), par la France.

Cette affaire concerne M. Giesbert, ancien directeur du magazine Le Point, ainsi que deux journalistes, pour une publication datant de février 2014. Dans cette dernière, la page de couverture ainsi qu’un article intitulé « Sarkozy a-t-il été volé ? L’affaire Copé », mettaient en cause les liens présumés de l’ancien député et président du parti politique UMP, avec la société Bygmalion, attributaire de prestations évènementielles pour la campagne présidentielle de M. Sarkozy, candidat UMP de 2012. L’article affirmait que M. Copé avait organisé le vol et la ruine du parti qu’il dirigeait, au moyen de cette société. L’intéressé a déposé plainte avec constitution de partie civile en mars 2014 pour diffamation publique envers un particulier et envers un citoyen chargé d’un mandat public. 

Le Tribunal correctionnel de Paris, en 2016, a jugé que les passages litigieux imputaient des faits précis à M. Copé, qui étaient attentatoires à l’honneur et à la considération ; ainsi, il a déclaré M. Giesbert coupable des faits reprochés et les deux journalistes coupables de complicité. Dans son jugement, le Tribunal a refusé aux requérants le bénéfice de la bonne foi pour justifier les imputations diffamatoires, en retenant que les imputations exprimées dans l’article ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante, et a condamné les requérants à des peines d’amendes. 

 

L’affaire a été portée de 2017 à 2019 par les requérants en appel, puis en cassation et a été renvoyée devant la cour d’appel de Paris. Les juridictions internes ont toutes conclu à une confirmation de la solution en substance du premier jugement, en ne manquant pas de mentionner les trente condamnations pour diffamation présentes au casier judiciaire du directeur de la publication.

En décembre 2019, les trois intéressés ont alors saisi la Cour d’une requête dirigée contre la République française, en soutenant que leur condamnation pour diffamation publique est contraire à l’article 10 CEDH. Ils affirment notamment que l’article litigieux visait la seule vie politique et professionnelle de M. Copé, qu’il portait sur une question d’actualité intéressant le public et que leur enquête sérieuse et documentée démontrait leur bonne foi. 

Le gouvernement français, quant à lui, soutenait que l’ingérence commise dans l’exercice de la liberté d’expression des requérants était prévue par la loi, poursuivait le but légitime de la protection et de la réputation d’autrui (notamment garantir la présomption d’innocence des personnes visées par l’article car l’information judiciaire concernant cette affaire a été ouverte l’année de publication dudit article), et enfin que cette ingérence était nécessaire en application des critères donnés par la jurisprudence de la Cour elle-même.

Après avoir admis la recevabilité de la requête, la Cour qualifie tout d’abord la condamnation pénale des requérants d’ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression. Elle contrôle ensuite et valide rapidement les deux premiers critères classiques de justification de l’ingérence que sont le fait qu’elle soit prévue par la loi (en l’espèce, celle de 1881 sur la liberté de la presse) et dirigée vers un ou des buts légitimes (en l’espèce la protection de la réputation ou des droits de M. Copé).

Ensuite, la Cour se penche plus particulièrement sur le dernier critère relatif à la justification d’une ingérence : le fait qu’elle soit nécessaire dans une société démocratique pour atteindre les buts légitimes identifiés. Elle se fonde sur sa jurisprudence antérieure (voir notamment Cour EDH, 7 septembre 2017, Lacroix c. France, req n° 41519/12, § 36), et prend en compte, pour apprécier cette nécessité, la qualité du requérant et celle de la personne visée par les propos litigieux, le cadre de ces propos, leur nature et leur base factuelle, ainsi que la nature de la sanction infligée au requérant.

Elle rappelle à cette occasion que les juridictions nationales jouissent d’une marge d’appréciation, et que son rôle se limite à vérifier la compatibilité des décisions rendues avec les exigences de l’article 10. Elle rappelle également que les juridictions nationales sont légitimes de vouloir conserver un minimum de modération et de bienséance dans le cadre des luttes politiques (Cour EDH, 22 octobre 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France, req n° 21279/02 et 36448/02, § 57). En l’espèce, elle n’identifie aucune raison sérieuse de remettre en cause l’appréciation unanime des juridictions internes, qui n’ont pas excédé leur marge d’appréciation, sur l’absence de base factuelle suffisante, de prudence et de mesure dans certains passages de l’article litigieux. 

 

Elle conclut alors à la non-violation de l’article 10 par la France.

Par cette décision, la Cour, qui avait pourtant élevé la presse au rang de « chien de garde de la démocratie » (Cour EDH, 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, req n° 17488/90), rappelle néanmoins à celle-ci que l’exercice du droit à la liberté d’expression, aux termes mêmes de l’article 10 de la Convention, comprend des devoirs et des responsabilités, et notamment celle de faire reposer les propos litigieux sur une « base factuelle suffisante » pour bénéficier de la protection de l’article 10, et de faire preuve de « prudence et de mesure » dans l’expression, et ce même lorsqu’un article traité d’un sujet d’intérêt général comme le cas de l’espèce. 

Lou-Ann LAURENT

M1 DEDH

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