
L’exigence de présomption d’innocence dans une procédure connexe à celle pour laquelle le requérant est mis en examen.
CEDH, 4 juillet 2024, Gravier c. France, n°49904/21
Le 4 juillet 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu un arrêt constatant la violation par la France de l’article 6§2 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Les faits concernent un associé de deux sociétés d’audit qui avaient qualité de commissaire aux comptes pour un groupe de sociétés commerciales. En 2016 un mandataire ad hoc de ce groupe de sociétés révéla que les comptes avaient été délibérément falsifiés depuis plusieurs années. Cette même année le parquet saisit la brigade financière aux fins d’enquête préliminaire qui révéla que les comptes n’avaient pas été correctement audités. En 2019, le requérant et les sociétés d’audit se constituèrent partie civile dans le cadre de l’information judiciaire ouverte contre le groupe de sociétés, s’estimant victime d’obstruction aux vérifications par le dirigeant. Cette constitution fut cependant déclarée irrecevable par le juge d’instruction, aux motifs qu’il existait « une présomption forte que la mission des commissaires aux comptes n’ait pas été faite dans les règles de l’art, susceptible d’entraîner une qualification pénale et que [les constitutions de partie civile] ne soient motivées par un souhait d’échapper à toute responsabilité pénale ». Cette irrecevabilité fut confirmée par la chambre de l’instruction et la Cour de cassation. En 2020, le requérant fut mis en examen du chef de confirmation d’informations mensongères.
Le requérant se porta devant la Cour européenne des droits de l’Homme arguant de la violation de l’article 6§2 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui dispose que “Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.” Selon le demandeur, le raisonnement ainsi que les termes des juridictions relatifs à l’irrecevabilité de sa constitution de partie civile ont porté atteinte à son droit à la présomption d'innocence.
Dans son arrêt, la Cour commence par rappeler qu’elle se prononcera sur les termes employés par les juridictions au regard de l’article 6§2 de la Convention, mais qu’elle n’étudiera pas la question du bien-fondé de la décision relative à l’irrecevabilité. Elle retient en effet que cette décision n’a pas été de nature à méconnaître le droit du requérant à être présumé innocent. Elle vient ensuite rappeler les contours de sa jurisprudence concernant la notion de présomption d’innocence selon laquelle celle-ci se trouve méconnue lorsqu’une déclaration ou une décision officielle concernant un accusé reflète le sentiment qu’il est coupable alors que sa culpabilité n’a pas encore été légalement établie.
Concernant dans un premier temps la décision de la chambre de l’instruction dont les termes litigieux faisaient référence à l’idée que la plainte du requérant visait à s’exonérer de sa responsabilité pénale. La Cour soutient que les termes employés désignent les sociétés et non pas le requérant. Par conséquent, elle affirme que la décision d’appel n’a pas enfreint le droit du requérant à la présomption d’innocence.
Concernant dans un second temps les termes employés par la Cour de cassation, les juges de la Cour de Strasbourg relèvent le paragraphe 35 de l'arrêt qui déclare que le requérant avait “participé à un concert frauduleux visant à masquer une situation financière obérée”. La première partie de la phrase du fait de son ambiguïté pourrait s'apparenter à la notion de fraude, qui en elle-même ne relève pas uniquement de la sphère pénale et qui donc ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence de ce dernier. Cependant, les juges retiennent que les termes litigieux sont aggravés par la suite de la phrase : “visant à masquer une situation financière obérée” qui selon la Cour peuvent être interprétés comme imputant au requérant la responsabilité pénale pour le délit pour lequel il est mis en examen.
Ainsi la présomption d'innocence s’applique également aux décisions de justice rendues dans une procédure ne visant pas directement le requérant en tant qu’accusé, mais liée à un procès pénal en cours. Ce qui conduit la Cour a constaté la violation de l’article 6§2 de la Convention.
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