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L’incrimination générale et absolue de l’achat d’actes sexuels par la France ne viole pas l’article 8 de la Convention.

CEDH, 25 juillet 2024, 5ème section, AFFAIRE M.A. ET AUTRES c. France, n°63664/19 et 4 autres

Le présent arrêt, rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après « la Cour ») le 25 juillet 2024, estime que l’incrimination en droit pénal français de l’achat de relations de nature sexuelle ne viole pas l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après « la Convention »). 

En l’espèce, les deux cent soixante-et-un requérants, hommes et femmes de diverses nationalités, allèguent que la loi française, qui érige en infraction pénale l’achat de prestations de nature sexuelle, même entre adultes consentants agissant en espace privé, menace l’intégrité physique et psychique ainsi que la santé des personnes. Cela les exposerait à des risques accrus, tout en affectant tant leur liberté de définir les modalités de leur vie privée que leur autonomie personnelle et liberté sexuelle. 

Ayant jugé au préalable que les requêtes sont recevables au sens de l’article 35§3 a), la Cour constate l’ingérence que constitue « l’incrimination de l’achat d’actes sexuels » (para. 138) dans le respect de la vie privée des requérants, ingérence par ailleurs prévue par la loi et poursuivant les buts légitimes de défense de l’ordre et de la sûreté publics, de prévention des infractions pénales ainsi que la protection de la santé et des droits et libertés d’autrui. En raison des « questions morales et éthiques très sensibles » (para. 149) que soulèverait le domaine de la prostitution, la Cour entend définir les contours de la marge d’appréciation que l’Etat défendeur possède dans ce domaine, pour ensuite analyser la proportionnalité de l’ingérence. 

Tout d’abord, l’amplitude de la marge d’appréciation réservée à l’État concernant l’article 8 de la Convention est influencée par des facteurs déterminants. Ainsi, la Cour rappelle que l’absence de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe élargie la marge d’appréciation que ces derniers peuvent obtenir. Cette dernière est également ample lorsqu’un équilibre entre des « intérêts privés et publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention » doit être trouvé (para. 147). 

Concernant la prostitution, il est observé que des « divergences notables » (para. 149) persistent à exister au sein des différents systèmes juridiques quant à la meilleure manière d’appréhender le sujet, bien que la Cour reconnaisse la possibilité de futures évolutions. Il en va de même pour la pénalisation générale et absolue de l’achat d’actes sexuels « en tant qu’instrument de lutte contre la traite des êtres humains » (para.152). 

En l’espèce, cette grille de lecture permet à la Cour de justifier qu’une large marge d’appréciation soit accordée à l’État défendeur. 

Ensuite, la Cour apprécie la proportionnalité de cette ingérence. Cependant, elle se montre prudente lors de son examen. En effet, elle réitère sa position exprimée dans l’affaire VT c. France, en ne se prononçant pas sur l’approche « abolitionniste » adoptée par la France. Cette prudence est revendiquée comme un signe que la Cour est consciente qu’elle ne peut se substituer au décideur national dans le cadre de questions de « politique générale ». Elle se limite donc à apprécier si l’État défendeur n’a pas outrepassé les « limites de l’ample marge d’appréciation » (para. 159) dont il disposait. 

Ainsi, la Cour analyse le cadre juridique global dans lequel s’inscrit la loi litigieuse. Elle estime que l’Etat défendeur a instauré un cadre propice à la « protection des personnes prostituées ». Inscrites comme « personnes vulnérables », elles peuvent être aidées dans le processus de réinsertion si elles souhaitent quitter l’activité. La dépénalisation des personnes prostituées a contribué aux objectifs de lutte contre la stigmatisation sociale et de renfort de l’accès aux droits des personnes prostituée. 

Finalement, il est conclu que les autorités françaises ont établi un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu. L’État défendeur n’a donc pas outrepassé la marge d’appréciation dont il disposait.

 

Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

TORCHET-DIT-RENARD Clara

M2 DEDH

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