La Cour européenne des droits de l’Homme condamne la France pour l’assignation à résidence non justifiée d’un militant écologiste
CEDH, 16 mai 2024, Domenjoud c. France, n°34749/16 et 79607/17
Dans son arrêt de chambre du 16 mai 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France en raison de la violation de la Convention européenne des droits de l’Homme pour l’assignation à résidence non justifiée d’un militant écologiste.
Le 25 novembre 2015, le ministre de l’Intérieur assigna à résidence les requérants par deux arrêtés. Une décision motivée par le contexte de menace grave d’attaque terroriste et la nécessité d’une sécurité renforcée pour la 21ème session de la Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (« COP 21 »). Le service des renseignements a alors fait part de notes blanches décrivant les requérants comme les principaux leaders de la mouvance contestataire radicale, et leurs participations possibles à des actions violentes à l’occasion de ce sommet.
Après avoir saisi le juge interne à plusieurs reprises, les deux requérants ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme. En premier lieu ils invoquaient la violation de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme protégeant le droit à la liberté et à la sureté. Cet argument est rejeté par la Cour du fait que le « droit à la liberté » tel qu’il est proclamé à l’article 5 diffère de la restriction à la liberté de circuler et doit être déterminé avec un ensemble de critères. En l’espèce la Cour affirme que la mesure n’avait pas privé les requérants de la possibilité de mener une vie sociale.
En second lieu, et à titre subsidiaire, les requérants invoquaient la violation de l’article 2 du Protocole n°4 de la Convention européenne des droits de l’Homme protégeant la liberté de circulation. La recevabilité de la demande est confirmée par la Cour, c’est sur le fond qu’elle va développer son raisonnement.
Sur la question de la prévisibilité de la loi, la Cour affirme que la base légale des mesures litigieuses était bien prévisible en raison de la situation d’urgence, à condition d’avoir un lien suffisamment fort entre le but poursuivi lors de la déclaration de l’état d’urgence et les mesures prises sur son fondement, et également en raison du contrôle juridictionnel prévu sur la légalité et la proportionnalité des mesures d’assignation à résidence.
Ensuite sur la nécessité de la mesure, la Cour va distinguer la situation des deux requérants et apprécier les garanties procédurales, le risque et l’existence d’un lien suffisant avec le cadre de l’état d’urgence et la proportionnalité de la mesure.
Concernant le premier requérant, il a bien bénéficié d’un contrôle juridictionnel, la Cour ayant écarté l’argument relatif au poids accordé aux notes blanches par les juridictions administratives dès lors qu’elles ont été soumises au débat contradictoire, qu’elles ont relaté des faits précis et circonstanciés et que le juge administratif possédait les pouvoirs d’instructions lui permettant d’exercer un contrôle juridictionnel à leur encontre. S’agissant de l’appréciation du risque, les informations relatées devant les juridictions démontrent que le premier requérant a participé à six réunions de préparation d’actions en marge de la « COP21 », et qu’il a des antécédents d’actions similaires. La Cour confirme donc l’appréciation des autorités internes quant au risque sérieux que représentait le premier requérant, qui ne pouvait donc invoquer à son profit la Convention européenne des droits de l’Homme.
Concernant le second requérant la situation est différente. Alors que les informations à son encontre étaient lacunaires, aucune demande d’information supplémentaire n’a été demandé, et aucune conséquence n’a été tirée de ces lacunes dans le cadre du contrôle juridictionnel, la Cour d’appel de Versailles n’ayant pas pris en considération les contestations du requérant. En conséquence, la substance des droits procéduraux du requérant n’a pas été préservée.
S’agissant de l’appréciation du risque, la Cour évoque le manque de preuves concrètes quant aux réelles intentions du requérant envers sa potentielle participation à des actions en marge de la « COP21 », ses antécédents ne faisant pas état de participations à des actions violentes similaires. La Cour affirme que la mesure d’assignation à résidence ne peut être qualifiée de nécessaire dans une société démocratique, cette mesure violant donc l’article 2 du Protocole n°4 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
M2 DEDH