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Quelle confiance accorder à la Pologne ?

Le blocage du budget européen par la Pologne et la Hongrie constitue un nouvel épisode de la crise de confiance entre l’UE, et les actuels gouvernements polonais et hongrois, qui refusent la condition imposée par les institutions européennes et les autres États membres du respect de l’état de droit au vote du budget. Un des premiers chantiers du gouvernement polonais arrivé en 2015, fut de réformer le Tribunal constitutionnel Polonais pour in fine, en contrôler la composition. Il s’agit ensuite rapidement d’un vaste projet de réforme de la justice afin de soumettre le pouvoir judiciaire à l’influence du pouvoir exécutif, mettant au plus mal l’État de droit.[1] La Commission a plusieurs fois utilisé ses prérogatives afin de jouer son rôle de « gardienne des traités » et de l’intérêt général européen.[2]


L’atteinte portée à l’État de droit en Pologne est manifeste : les juges doivent désormais être autorisés par l’exécutif pour continuer à exercer leurs fonctions au-delà de l’âge de départ à la retraite, abaissé par la même occasion, et le nombre de magistrats composant est augmenté afin de permettre au gouvernement de nommer des magistrats en leur faveur. L’autorisation permettant de continuer à exercer est exclusivement délivrée par le gouvernement. Cette décision n’a pas à être motivée et n’est pas susceptible de recours juridictionnel, le délai de réponse est à la discrétion du gouvernement. L’avis préalable du conseil de la magistrature, en général non motivé, a été jugé par la Cour de justice de l’UE (CJUE) comme « pas de nature à pouvoir contribuer à éclairer de manière objective le Président de la République ».[3]


Le 23 janvier 2020, la Pologne a voté une nouvelle loi interdisant aux magistrats de critiquer « le statut d’un juge, la légalité de sa nomination ou l’autorité d’un organe constitutionnel », au risque de se voir infliger des sanctions disciplinaires allant jusqu’à la révocation ; elle a également instauré une chambre disciplinaire de la Cour suprême concernant les juges. En réaction, la Commission a initié une procédure de recours en manquement contre la Pologne le 23 janvier 2020 et sollicité l’adoption de mesures provisoires, auxquelles la CJUE a fait droit dans une ordonnance en référé du 8 avril 2020, ordonnant la suspension de l’application de la loi. Le Parlement européen quant à lui, a adopté une résolution le 17 septembre 2020 condamnant les atteintes aux personnes LGBTI+ et relevant la « composition illégale » du Tribunal constitutionnel polonais.


Malgré trois procédures d’infractions à l’encontre de la Pologne pour ses réformes de la justice, la tentative d’utilisation de l’« arme nucléaire » de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE), des ordonnances conservatoires et plusieurs condamnations par la CJUE[4], le gouvernement polonais persiste, créant le doute à travers l’Europe quant à la confiance qu’il convient d’avoir en la justice polonaise. Ainsi, plusieurs juridictions nationales ont saisi la Cour de Justice de recours préjudiciels relatifs à l’exécution de mandats d’arrêts européens (MAE) émis par les autorités judiciaires d’émission polonaises, inquiètes de voir les droits fondamentaux des personnes recherchées violés par la Pologne. Dès la première affaire dont a eu à connaître la CJUE sur le MAE, cette dernière avait affirmé le principe essentiel « de la confiance mutuelle des Etats Membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs », rappelant dans le même temps la condition sine qua non du principe de reconnaissance mutuelle pour le fonctionnement du système de MAE.[5]


Or, les réformes du système judiciaire polonais initiées par le PiS en 2015 ont créé une crise de confiance des juridictions d’autres États membres saisis par des MAE en provenance de Pologne. La CJUE a jugé dans son arrêt Minister for justice Equality du 25 juillet 2018, qu’il en va de la garantie au droit à un procès équitable consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (Charte). En cas de doute, l’autorité d’exécution d’un MAE peut effectuer un contrôle consistant d’abord en l’analyse de l’existence de défaillances systémiques affectant l’indépendance de la juridiction d’émission. Puis doit être examiné s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne recherchée court le risque, d’une violation de son droit à un procès équitable.[6] Dans le cadre de contrôle, l’autorité d’exécution veille à solliciter des informations de l’État membre émetteur du MAE afin d’évaluer la pertinence du MAE visé. Cette décision est louable en ce qu’elle permet la continuité et la sécurité des MAE, sans remettre en cause les principes de reconnaissance et confiance mutuelles. Mais elle admet malgré tout la possibilité de graves atteintes à l’état de droit dans l’UE, sans pouvoir y remédier et rétablir un lien de confiance sûre avec toutes les autorités judiciaires d’un pays.


En raison de la loi polonaise du 23 janvier 2020, le rechtbank d’Amsterdam a saisi la CJUE à titre préjudiciel, estimant la gravité de l’atteinte portée à l’indépendance des juges en Pologne telle que les personnes poursuivies par les tribunaux polonais ne bénéficient plus des garanties offertes par les articles 19 et 47 de la Charte. Dans ces circonstances, le rechtbank d’Amsterdam demande à la CJUE s’il est possible de refuser l’exécution du MAE sans effectuer de contrôle préalable. En l’espèce, les conclusions de l’Avocat Général (AG) reprennent la solution précédemment émise par la CJUE dans l’arrêt Minister for justice Equality, sans recommander de nouvelles mesures face à l’évolution de la situation. Car le refus d’exécuter un MAE est « une réponse exceptionnelle à des circonstances exceptionnelles », ne pouvant aller jusqu’à l’inexécution automatique des MAE, qui nécessiterait une reconnaissance du Conseil de violations de grave de l’état de droit. L’AG conseille toutefois une « vigilance renforcée » des juges d’exécution.[7] Cependant, les autorités polonaises enfreignent l’ordonnance rendue par la Cour de Justice le 8 avril 2020. La chambre disciplinaire est toujours en place, et a suspendu trois juges, retirée 40% du salaire de certains magistrats. Dès lors, ce manque de confiance est légitime car les tribunaux polonais apparaissent comme contrôlés par le parti au pouvoir, ce qui conduit à des restrictions intolérables sur les droits fondamentaux.[8]


Plus que jamais, le jugement de la CJUE pourrait être décisif, la Cour doit déterminer si le reste de l’Europe peut encore avoir suffisamment confiance dans le système judiciaire et les institutions d’un État membre. Si elle confirmait l’argumentation du rechtbank d’Amsterdam, la décision aurait l’effet d’une bombe dans la coopération judiciaire en matière pénale, pouvant conduire à la remise en cause de son existence, tout comme celle de principes cardinaux du droit européen. A contrario, suivre les conclusions de l’AG, permettrait la continuité et l’effectivité du MAE en Europe en offrant une certaine garantie des droits. Depuis 2015, sur l’état de droit en Pologne, la CJUE a suivi les conclusions de l’AG. A fortiori, la CJUE a précisé que le contrôle du MAE émis par un État membre où l’indépendance des juges et l’État de droit sont soumis à des défaillances systémiques ou généralisées, est d’interprétation stricte.[9]


Outre l’évidente crise de confiance envers la Pologne, il en va aussi de la confiance en nos institutions européennes à conduire leurs missions, ainsi que de la confiance que les États membres accordent à ces institutions. Si les sanctions de l’article 7 TUE restent liées au vote à l’unanimité du Conseil, ou que les prérogatives du Parlement européen qui a, dans sa vaste majorité appelé à des sanctions contre la Pologne, ne sont pas renforcées, une crise de confiance dans les institutions européennes pourrait être irréversible. Alors que l’époque est instable en raison de l’enchainement de crises, que de plus en plus de populations témoignent de méfiance envers leurs autorités, il est impératif que les institutions européennes réussissent dans leurs missions.

[1] Voir à cet effet, loi du 8 décembre 2017 portant réforme du Tribunal constitutionnel Polonais ; loi polonaise du 10 mai 2019 portant réforme des juridictions de droit commun, sur le renouvellement et fonctionnement des tribunaux.

[2] Tel qu’il en ressort de l’article 17.1 du Traité sur l’Union européenne.

[3] CJUE, GC, 24 juin 2019 Commission c/Pologne, C-619/18, point 117.

[4] CJUE, ord. vice-présidente, 19 octobre 2018, Commission c/ Pologne, C-619/18 ; CJUE, GC, ord., 17 déc. 2018, Commission c/ Pologne, C-619/18 R, référé ; CJUE, GC, 24 juin 2019 Commission c/ Pologne C-619/18 ; CJUE, GC, 5 novembre 2019, Commission c/ Pologne C-192/18 ; CJUE, ord. 8 avril 2020, Commission c/ Pologne, C-791/19 R.

[5] CJUE, 11 février 2003, Gözütok et Brügge, C-187/01 et C-385/01

[6] CJUE, GC, 25 Juillet 2018, Minister for Justice and Equality (C-216/18 PPU)

[7] Conclusions de l’avocat général dans les affaires jointes C-354/20 PPU et C-412/20 PPU, 12 novembre 2020

[8] Voir en ce sens: Tribunal constitutionnel de Pologne, 22 octobre 2020, décision restreignant l’avortement aux grossesses résultant d’un viol, d’un inceste ou mettant la santé de la mère en danger.

[9] Supra, Minister for Justice and Equality, points 41 et 65.


Clément PETRELLA-RAYMOND


Étudiant du M2 Droit européen des affaires, promotion 2020-2021

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