Propos dénigrants : compétence du juge français pour indemniser le préjudice subi sur son territoire
(Cour de cassation, 1ère chambre civile, 15 juin 2022, pourvoi n°18-24.850)
La Société tchèque Gtflix Tv a pour activité la production et la diffusion de films pour adultes (à caractère pornographique) via, notamment, son site internet. Ladite société s’estime lésée par des propos dénigrants diffusés sur plusieurs sites et forums par un réalisateur et ressortissant hongrois domicilié en Hongrie et l’assigne devant le Tribunal de grande instance de Lyon dans le but de faire cesser et supprimer les propos ainsi que de voir réparer son préjudice.
Alors que le défendeur avait soulevé l’incompétence de la juridiction française, la Cour de cassation, dans son arrêt du 13 mai 2020, a considéré sur la base de la jurisprudence pertinente de la CJUE que les juridictions françaises n’étaient pas compétentes s’agissant de la demande de suppression des commentaires dénigrants. En revanche, la Cour a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin d’interpréter le règlement Bruxelles I bis pour déterminer si les judications françaises restaient compétentes s’agissant de l’indemnisation
La Cour du Luxembourg, dans un arrêt du 21 décembre 2021 (Gtfix Tv, C-251/20), a considéré que l’article 7 point 2 du règlement Bruxelles I bis doit s’interpréter en ce sens que toute personne dénigrée par des propos sur Internet peut agir pour demander la réparation de son préjudice devant la juridiction de chaque État membre où le contenu des propos est ou était accessible, alors même que cette juridiction est incompétente s’agissant de la demande de suppression.
Dans son arrêt du 15 juin 2022, la Cour de cassation, tenant dûment compte de l’arrêt de la CJUE, casse et annule la décision rendue par la Cour d’appel de Lyon mais seulement en ce qui concerne l’incompétence des juridictions françaises pour réparer le préjudice subi en France. Il suffit donc que les propos litigieux soient accessibles en France pour établir la compétence des juridictions françaises, sans qu’il soit nécessaire de démontrer, comme l’exigeait la Cour d’appel, que ceux-ci sont destinés à un public français.
Par cet arrêt, nous nous rendons compte de toutes les problématiques liées à Internet et à la détermination de la compétence juridictionnelle face à ce qu’on pourrait plus communément nommer des « cyber-délits ». La Cour du Luxembourg avait déjà statué en ce sens dans un arrêt e-Date advertising du 25 octobre 2011 (aff. jointes C-509/09 et C-161/10) afin de mettre en avant et de consacrer le principe des centres d’intérêt de la victime mais aussi le principe de proximité. Cette lignée jurisprudentielle vise à préserver les droits fondamentaux, droits que les Etats membres de l’Union européenne se doivent de faire respecter au niveau national, comme la Cour de cassation a pu le faire dans cet arrêt.
Par Emma Durand (M2 Droit européen des Droits de l'Homme)