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L’extradition : conflit entre coopération loyale et respect des droits fondamentaux

(Cour de cassation, 11 octobre 2022, n°22-80.654)

 

Le 29 avril 2021, un ressortissant luxembourgeois a fait l'objet d'une arrestation provisoire en France aux fins d'extradition, sur la base d'un mandat d'arrêt délivré par une juge américaine, pour des faits de fraude électronique et blanchiment commis aux Etats-Unis et au Luxembourg. L’intéressé, placé sous écrou extraditionnel, a déclaré ne pas consentir à sa remise aux autorités américaines. Après avoir été informées de l’extradition de leur ressortissant, les autorités luxembourgeoises ont répondu ne pas vouloir reprendre les poursuites, ni délivrer de mandat d'arrêt européen (ci-après “MAE”). La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nancy a ensuite émis un avis favorable à la demande d’extradition, avis contesté par l’intéressé qui se pourvoit alors en cassation. Son pourvoi est rejeté dans cet arrêt du 11 octobre 2022.

 

Le premier apport de cet arrêt concerne le principe de coopération loyale entre États membres de l’Union. En vertu de ce principe, il incombe à l’État membre requis (la France) d’informer les autorités de l'État dont la personne a la nationalité (Luxembourg) de l’existence de la demande d’extradition communiquée par l'État-tiers requérant (Etats-Unis). L’objectif est de permettre au Luxembourg d’utiliser son pouvoir discrétionnaire d’exercer des poursuites et de délivrer, à cette fin, un MAE. 

 

Or, ici, les autorités françaises ont informé les autorités luxembourgeoises de la demande d'arrestation provisoire alors qu’elles n’avaient pas encore été saisies de la demande d'extradition. La Cour de cassation considère que cela ne pose pas de problème car les informations communiquées sur l’arrestation provisoire mentionnaient expressément l'existence d'une demande d'extradition, et étaient suffisamment précises pour permettre au Luxembourg d'apprécier l'opportunité de délivrer ou non un MAE. La Cour de cassation ajoute que le Luxembourg n’avait pas l'obligation de rendre une décision formelle, dûment motivée et susceptible d'un recours juridictionnel concernant son choix. Il n’y avait dès lors pas violation des articles 6 et 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ni des articles 21 et 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union (ci-après “la Charte”). 

 

Le deuxième apport de cet arrêt concerne les modalités que les États membres de l’UE doivent respecter afin de garantir la conformité de l’extradition avec l’interdiction des traitements inhumains et dégradants (article 4 de la Charte). Il est reproché à la chambre de l’instruction d’avoir exigé, pour refuser l’extradition, de prouver la certitude que l’individu soit soumis à des traitements inhumains ou dégradants alors que seul le risque sérieux est censé suffire (article 19, alinéa 2 de la Charte).

 

Afin de vérifier si ce risque existe, la Cour de cassation énonce, en reprenant les termes exacts de la Charte, que l’État requis doit se fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés. En l’espèce, les divers documents et rapports relevés font, certes, mention de préoccupations sur les pratiques pénitentiaires aux Etats-Unis, mais ne relèvent pas que l’isolement cellulaire est systématique. La Cour de cassation conclut que ces éléments ne remplissent pas les exigences européennes puisque la détention du requérant est hypothétique dans son principe, et incertaine dans ses modalités. Dès lors, il n’y a pas de risque sérieux de traitement inhumain ou dégradant.

 

La solution stricte de la Cour de cassation, dans cet arrêt, laisse transparaître sa volonté de rendre effective la procédure d’extradition, au détriment potentiel de la protection des droits fondamentaux. 

 

Auriane PAULIK

M2 Droit européen des Droits de l’Homme

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