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La frontière ténue entre le délit d’exhibition sexuelle et le droit à la liberté d’expression

(CEDH, 13 octobre 2022, Bouton c. France, requête n° 22636/19)

En France, la revendication d’une nudité sans connotation sexuelle au travers des actions à visée politique des Femen a toujours été sujet à polémique. Ce débat a d’ailleurs pris place au sein de vifs contentieux nationaux mais également européens, comme en témoigne l’arrêt Bouton c. France, rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après “la Cour”) le 13 octobre 2022.

En l’espèce, une militante féministe, membre du mouvement des Femen, s’était présentée au sein de l’église de la Madeleine à Paris, la poitrine dénudée et le corps couvert de slogans faisant notamment référence au manifeste des “343 salopes”, ces femmes qui avaient appelé à la légalisation de l’avortement en 1971.

Afin de justifier son acte, la requérante revendique un acte essentiellement politique dont le but était de dénoncer la position de l’Église catholique sur l’avortement et de promouvoir le droit des femmes à disposer de leur corps. Suite à une plainte déposée par le curé de la paroisse, Mme Bouton fut condamnée, par les juridictions nationales françaises, à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis pour exhibition sexuelle. 

Afin de motiver sa décision, la Haute juridiction française invoquait que lesdites poursuites ne portaient pas d’atteinte excessive à la liberté d’expression de Mme Bouton. En effet, la Cour de Cassation énonce que cette liberté fondamentale doit se concilier avec le droit d’autrui de ne pas être troublé dans l’exercice de sa religion, un droit également protégé par l’article 9 de la Convention Européenne des droits de l’Homme (ci-après “la Convention”). Madame Bouton a donc introduit une requête devant la Cour de Strasbourg pour violation, par la France, de l’article 10 de la Convention.

À l’aune d’un raisonnement en trois temps, la Cour s'attelle à déterminer si l’ingérence des autorités publiques dans la liberté d’expression de la requérante constitue ou non une violation de l’article 10 de la Convention. Selon les juges de Strasbourg, si les conditions de prévisibilité et de but légitime pouvaient être valablement accueillies par les juridictions françaises, le critère de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique fait défaut. 

En effet, la Cour se montre critique de l’analyse des juridictions internes, condamnant l’acte de mise à nu de la requérante au sein d’un lieu de culte, sans même prendre en considération le sens poursuivi par la performance litigieuse. Dans l’affaire en cause, les juges invoquent l’absence de proportionnalité entre la lourdeur de la sanction prononcée et la méconnaissance, par les juges internes, du caractère essentiellement politique de son action. 

Il est de jurisprudence constante que les « performances » consistant en une forme d’expression artistique et politique relèvent du champ de la liberté d’expression protégée par l’article 10 (CEDH, 17 juillet 2018, Mariya Alekhina et autres c. Russie). Dès lors, la Cour rappelle pédagogiquement que la garantie du droit à la liberté d’expression ne peut être compatible avec une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat politique que dans des circonstances exceptionnelles, telles que l’expression d’un discours de haine ou d’incitation à la violence. La Cour rappelle ainsi qu’en l’espèce, la requérante n’a pas fait preuve d’un comportement pouvant être qualifié d’injurieux.

En outre, les juges de Strasbourg dénoncent la mise en balance, par les juridictions françaises, de la liberté d'expression et du droit à la liberté de conscience et de religion (protégé par l'article 9 de la Convention), considérant que la sanction pénale infligée à la requérante n'avait pas pour objet de punir une atteinte à la liberté de conscience et de religion, mais la nudité dans un lieu public. 

À la suite de l’analyse didactique et succincte effectuée par la Cour européenne des droits de l’Homme, l’État français se voit condamné pour violation de l’article 10 de la Convention. Une condamnation d’ailleurs anticipée par la Cour de Cassation, qui, dans une décision du 26 février 2020, relative à l’action d’une autre Femen qui s’était dénudée au sein du musée Grévin, avait approuvé l’acquittement prononcé par la Cour d’Appel dès lors que l'exhibition sexuelle s'analysait comme une protestation politique. 

Lauren LEVENT et Flora GILLET

M1 et M2 Droit européen des Droits de l’Homme

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