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La perte de la nationalité française par l’indépendance de l’Algérie peut-elle constituer une discrimination ?

(CEDH, 13 octobre 2022, Zeggai c/ France, requête n°12456/19)

Le requérant, né en 1956 en France de parents Français nés en territoire d’Algérie française et y résidant, s’est vu rejeter sa demande de certificat de nationalité française. 

 

La difficulté provient du fait que jusqu’en 1962, date d’indépendance de l’Algérie, toutes les personnes nées sur ce territoire français possédaient la nationalité française. Après cette date, pour relever du statut civil de droit commun, il fallait effectuer une requête spécifique auprès d’un tribunal. A défaut de cette demande, les personnes relevaient du statut civil de droit local et perdaient leur nationalité française en date du 1er janvier 1963. Ces dernières avaient d’ailleurs eu la possibilité jusqu’au 23 mars 1967 de se faire reconnaître la nationalité française en souscrivant une déclaration à cette fin. 

 

Le requérant, encore mineur à cette date, a donc suivi la condition nationale de son père qui n’a pas formulé de demande de reconnaissance de la nationalité française. Néanmoins, celui-ci a obtenu une carte nationale d’identité française et une carte d’électeur en 2005. C’est en 2011 qu’il s’est vu opposer un refus à sa demande de délivrance d’un certificat de nationalité française par la greffière en chef du tribunal d’instance du Havre. Il a alors multiplié les recours. 

 

Face aux nombreux rejets qui lui ont été opposés, le requérant a formé un recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après “la Cour”) pour alléguer d’une double discrimination violant les articles 8 et 14 de la Convention. Cette double discrimination tiendrait, dans un premier temps, au fait qu’il existe une différence de traitement entre les personnes issues de parents nés Français en Algérie avant l’indépendance perdant ensuite la nationalité française, et les personnes issues de parents qui ont toujours été étrangers. Dans un second temps, elle tiendrait au fait qu’il existe une distinction entre les enfants nés de mêmes parents, c'est-à-dire entre ceux nés en France avant l’indépendance de l’Algérie ou ceux nés après celle-ci.

 

La Cour commence par relever qu’il convient d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8 et que le premier volet de la requête (relatif au premier motif de discrimination allégué) est irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes. 

 

A l’égard du second volet, elle rappelle, classiquement, que "toute différence de traitement n’emporte pas automatiquement violation de l’article 14. […] Une distinction est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouiss[a]nt d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement". Cette grille de lecture étant posée, elle constate que le critère de différenciation est celui de la date de naissance, motif de discrimination prohibé par l’article 14 de la Convention. En outre, elle relève que, par la perte de la nationalité française des parents, les membres de la fratrie sont placés dans une situation similaire puisqu’ils sont tous nés en France de parents nés Français sur le territoire de l’Algérie française. Toutefois, le but de cette différence de traitement tient en une volonté de maintenir une unité familiale afin de faire en sorte que tous les enfants mineurs suivent la condition de leurs parents, ce qui relevait de la marge d’appréciation des autorités nationales françaises. Cette distinction était, selon la Cour, proportionnée au but recherché. 

 

La Cour souligne que le droit français offrait au requérant plusieurs moyens pour recouvrer la nationalité française dont la voie de la réintégration qui s’avérait appropriée et qui aurait donné une suite rapide à la demande du requérant, notamment en raison d’une note du ministre de l’Intérieur en ce sens. Par ailleurs, elle admet que cette possibilité « ne répond pas entièrement au grief du requérant puisqu’elle mène à nier de manière rétroactive un élément de son identité » qui est sa nationalité et que la France a commis une erreur regrettable en lui délivrant une carte d’identité et une carte électorale française. 

 

La Cour conclut à l’absence de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 en raison du caractère objectif et raisonnable de la différence de traitement.

 

Léa SIMEONOV et Emma DURAND

M1 et M2 Droit européen des Droits de l’Homme

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