Extradition : le risque d’une détention à perpétuité n’emporte pas automatiquement violation de l’article 3 de la CEDH
(CEDH, 3 novembre 2022, Sanchez Sanchez c. Royaume-Uni, requête n°22854/20)
Le requérant est arrêté en 2018 au Royaume-Uni (État requis) à la demande des États-Unis (État requérant), où il est soupçonné d’y avoir codirigé une organisation de trafiquants de stupéfiants. Le requérant s’oppose à son extradition vers les États-Unis, considérant que celle-ci porterait atteinte à l’article 3 de la Convention EDH car il existerait selon lui un risque réel qu’il soit condamné à une peine de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.
La détention à perpétuité est en effet capable d’atteindre, d’après la jurisprudence constante de la Cour, le niveau de gravité suffisant à la reconnaissance d’un mauvais traitement au sens de l’article 3, dès lors que cet emprisonnement peut être qualifié de peine « perpétuelle » ou de « peine d’emprisonnement incompressible ». La position de la Cour a cependant évolué à ce sujet puisque désormais elle s’attache plutôt à vérifier l’existence d’un mécanisme de réexamen axé sur l’amendement du détenu plutôt que sur la compressibilité elle-même de la peine privative de liberté (Vinter c. Royaume Uni, 2013).
Dans une affaire antérieure (Trabelsi c. Belgique, 2014), la Cour avait appliqué ces principes-là dans le cadre d’une demande d’extradition, faisant évoluer sa jurisprudence sur ce point. Elle avait ainsi reconnu la violation de l’article 3 puisque l’État requérant ne prévoyait aucun mécanisme de réexamen de la peine dont la personne aurait eu connaissance avec certitude au moment de son prononcé. Dans l’arrêt d’espèce, la Cour modifie à nouveau son approche en consacrant un contrôle plus souple, en deux étapes.
Dans un premier temps, le requérant doit démontrer qu’il existe des raisons sérieuses de penser que son extradition et sa condamnation l’exposeraient à un risque réel de subir la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Dans un second temps, il faut vérifier s’il existe dans l’État requérant, un mécanisme de réexamen de la peine permettant aux autorités nationales d’examiner les progrès accomplis par le détenu sur le chemin de l’amendement ou tout autre motif de libération. Selon la Cour, cette deuxième étape doit être axée sur les garanties matérielles accordées aux détenus. Ainsi, la présence de garanties procédurales dans l’ordre juridique de l’État requérant n’est pas une condition indispensable au respect de l’article 3 par l’État requis.
La Cour s’éloigne alors de son approche antérieure puisque dans l’affaire Trabelsi, celle-ci n’avait pas effectué la première étape de l’analyse. Ici à l’inverse, la Cour n’a effectué que la première étape du contrôle, considérant qu’il n’était pas certain que le requérant soit condamné à une peine de réclusion à perpétuité aux États-Unis étant donné que le choix de la peine était susceptible d’évoluer selon plusieurs facteurs, notamment si le requérant venait à plaider coupable.
De par cette nouvelle méthode, la Cour cherche à concilier l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants avec l’obligation de coopération internationale en matière pénale, mais cette conciliation semble se faire au détriment des droits fondamentaux des détenus.
M2 Droit européen des Droits de l’Homme