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Soutien à la cause palestinienne : le Conseil d’Etat rappelle la compétence des préfets d’apprécier, au cas par cas, si le risque de troubles à l’ordre public justifie une interdiction de manifester

 

(Conseil d’Etat, 18 octobre 2023, association Comité Action Palestine, n° 488860)

Depuis le 7 octobre dernier, à la suite du tournant que connaît le conflit israélo-palestinien et de la flambée de violences subséquentes, des manifestations en soutien du peuple palestinien ont lieu dans plusieurs villes de France. 

 

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mers, Gérald Darmanin, a envoyé, le 12 octobre 2023, un télégramme relatif aux conséquences des attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023 ayant pour vocation d’informer les préfets que « les manifestations pro-palestiniennes, parce qu'elles sont susceptibles de générer des troubles à l'ordre public, doivent être interdites ». 

 

L’association Comité d’Action Palestine a saisi le juge des référés-liberté du Conseil d’Etat d’un recours en urgence contre ce télégramme, estimant que l’interdiction générale de toute manifestation supposée par le télégramme constitue une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’expression et la liberté de manifestation.

 

Afin d’examiner la recevabilité de ce recours, le juge des référés examine deux conditions cumulatives présentes à l’article L. 521-2 du Code de Justice administrative. D’une part, il convient d’examiner la présence d’une liberté fondamentale en cause, condition que le juge accepte aisément en l’espèce, en affirmant que les libertés d’expression et de manifester sont des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du Code de la Justice administrative. D’autre part, la validation de la deuxième condition fonde la majorité de la réflexion afin de déterminer s’il y a lieu de caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale.

 

Le juge des référés oriente sa réflexion autour des compétences du préfet, notamment l’obligation, prévue à l’article L. 211-1 du Code de la Justice administrative, de déclaration préalable avant toute manifestation, ou encore la possibilité d’interdire une manifestation projetée de nature à troubler l’ordre public, prévue aux articles L. 211-4 et R. 211-1 de ce même code.

 

Puisque les libertés fondamentales en cause au cœur de cette affaire doivent être conciliées avec l'exigence constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, une mesure d’interdiction est envisageable “en dernier recours”. Cette possibilité est toutefois encadrée par une exigence de motivation. Cette dernière peut être remplie du fait de l’existence d’un risque de troubles matériels à l'ordre public, en particulier de “violences contre les personnes” et de “dégradations des biens”. Elle peut également être motivée par la prévention nécessaire de la commission suffisamment certaine et imminente d'infractions pénales susceptibles de mettre en cause la sauvegarde de l'ordre public, même en l'absence de troubles matériels. En ce sens, le juge des référés reconnaît qu’il existe un réel climat de tension depuis les attaques du Hamas survenues le 7 octobre 2023 et que les manifestations qui soutiennent directement ou indirectement cette organisation sont de nature à entraîner des troubles à l’ordre public.

 

Cependant, il ajoute que l’autorité du ministre de l’Intérieur se limite à de simples instructions sur l’exercice des pouvoirs des préfets, et que l’interdiction d’une manifestation est un pouvoir qui relève de la seule compétence de l’autorité préfectorale. Il appartient donc aux préfets d’apprécier au cas par cas la pertinence de l’interdiction, en se fondant tant sur le contexte national que sur les circonstances locales, sans accorder d’importance au parti soutenu dans le cadre spécifique du conflit israélo-palestinien.

 

Ainsi, le Conseil d’État affirme que le télégramme du ministre de l’Intérieur adressé aux préfets ne représente pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d’expression et de manifester, le choix final d’interdiction de manifestation étant la compétence de l’autorité préfectorale. 

 

Les conditions du référé-liberté n’étant finalement pas respectées, le juge des référés rejette le recours. 

 

Clara Torchet-Dit-Renard  et Joseph Vnuk

M1 DEDH

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