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La Cour de cassation reconnaît l'appel au boycott des produits israéliens pour des motifs politiques

(Cour de cassation, 17 octobre 2023, n° 22-83.197)

Dans l'objectif d'inciter l'État d'Israël à se conformer au droit international, le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) préconise de s'abstenir d'acquérir des produits israéliens et de rompre toute affiliation avec les institutions académiques, culturelles, sportives, syndicales et associatives soutenues financièrement par ou liées à l'État israélien.

 

Le 16 décembre 2016, TEVA, une entreprise pharmaceutique israélienne, a déposé plainte contre une militante. Celle-ci avait publié des propos tels que « TEVA, on n’en veut pas », justifiant cela par le fait qu'une partie des bénéfices de TEVA contribue au financement de l'armée israélienne. De plus, elle avait diffusé sur son site internet des vidéos des rassemblements du Collectif 69 des 19 et 20 novembre 2016 devant des pharmacies de la région lyonnaise, incitant les clients à éviter l'achat de médicaments de la marque TEVA. Cette plainte, basée sur l'accusation d'appel à la discrimination, a entraîné une enquête judiciaire et des poursuites pénales. Relaxée en première instance le 18 mai 2021, le ministère public a fait appel. La Cour d'appel de Lyon, le 5 mai 2022, a de nouveau relaxé la militante BDS, arguant que les propos tenus et les vidéos relayées étaient couverts par la liberté d'expression. Un pourvoi a été formé contre cet arrêt.

 

La question centrale était de savoir si l'action militante constituait un exercice légitime du droit à la liberté d'expression ou si elle représentait un appel répréhensible à la discrimination, à la violence ou à la haine.

 

La Cour de cassation a reconnu, pour la première fois en droit français, la légitimité de l'appel au boycott des produits israéliens sous l'angle de la liberté d'expression, à condition que ce dernier soit motivé par des raisons politiques. Cette reconnaissance trouve sa source dans l’arrêt Baldassi et autres c. France (n° 15271/16 et 6 autres) de la Cour européenne des droits de l'homme du 11 juin 2020. Selon cet arrêt, le boycott constitue une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression, représentant une forme légitime d'expression d'opinions protestataires, associant l'expression d'une opinion à l'incitation à un traitement différencié. La légalité de l'appel au boycott est désormais soumise à une évaluation au cas par cas, où il convient de déterminer s'il s'agit d'un exercice légitime de la liberté d'expression ou s'il constitue un appel répréhensible à la discrimination, à la violence ou à la haine.

 

À l'issue d'un contrôle de proportionnalité, la chambre criminelle consacre pour la première fois le rattachement de l’appel au boycott de produits importés d’Israël à la liberté d’expression. Les juges ont conclu que la militante n'avait pas outrepassé les limites de son droit à la liberté d'expression en rendant compte de l’action sur son site Internet. Bien qu'elle encourageait un traitement différencié envers la société, aucune provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence n'était présente. Elle ne visait pas cette société en raison de son appartenance à la nation israélienne mais en raison de son soutien financier supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l'encontre des Palestiniens. L’appel au boycott de produits pharmaceutiques d'une filiale israélienne n'était pas discriminatoire, laissant aux consommateurs la liberté de choisir des alternatives. Ainsi, la Cour a clairement écarté tout élément de provocation à la discrimination dans cette démarche militante en faveur de la cause palestinienne.

 

Les juges du fond ont estimé que l'action militante « s'inscrivait dans un débat d'intérêt général contemporain, ouvert en France comme dans d'autres pays, portant sur le respect du droit international par l'État d'Israël et sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens ». Cet arrêt de la Cour de cassation représente un tournant significatif, marquant l'abandon par la plus haute juridiction judiciaire française de sa jurisprudence antérieure, laquelle considérait l'appel au boycott des produits israéliens comme une infraction pénale en soi.

 

Anastacia Otrochevskii

M2 DEDH

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