Condamnation du gouvernement turc pour la détention provisoire « arbitraire » de 427 magistrats
(CEDH, 23 novembre 2021, Turan & autres contre Turquie, req. 75805/16 et 426 autres.) - Arrêt uniquement disponible en anglais.
Le 23 novembre 2021, la Deuxième section de la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Turquie pour violation de l’article 5§1 de la Convention, relatif au droit à la liberté et à la sûreté, en raison de l’illégalité de la détention provisoire des requérants. L’affaire a été portée par 427 ressortissants turcs, tous magistrats au moment des faits ayant donné lieu à la requête. Ces derniers contestent la légalité de leur détention provisoire, notamment à l’égard des règles de procédure spéciales prescrites par le droit interne en matière d’arrestation et de détention provisoire des membres du pouvoir judiciaire.
Les requérants étaient accusés ou soupçonnés d’être affiliés à l’organisation FETÖ/PDY, considérée comme la structure terroriste responsable de la tentative du coup d’État militaire ayant eu lieu à l’encontre du gouvernement turc, le 15 juillet 2016. Dans ce contexte, les requérants contestent notamment l’allégation selon laquelle les faits d’espèce les privent du bénéfice des garanties procédurales accordées à tous les juges et procureurs. Ils invoquent également l’incompétence du tribunal d’instance qui a déclaré leur mise en détention provisoire.
La Cour européenne des droits de l’Homme concentre notamment son examen sur l’appréciation de l’application de la loi n°2802, relative aux garanties inhérentes à la fonction des juges et procureurs. Ainsi conformément aux exigences de sécurité juridique, les juges de Strasbourg ont eu l’occasion d’apprécier une exception à ces garanties notamment justifiée, selon le Gouvernement turc et sa Cour constitutionnelle, par la présence d’un cas de découverte en flagrant délit.
La Cour articule son raisonnement conformément à une jurisprudence constante, en s’appuyant largement sur sa récente décision Bás contre Turquie, du 15 juillet 2016. Elle rappelle de nouveau la fondamentalité de ces garanties afin d’assurer l’indépendance des juges et précise que les exigences juridiques tenant à leur fonction sont renforcées en cas de privation de liberté. Elle constate ainsi l’irrégularité de la mise en détention provisoire des requérants, en dénonçant notamment l’interprétation extensive de la notion de « flagrant délit » par les autorités turques - conformément à sa position antérieurement adoptée dans son arrêt Alparslan Altan du 16 avril 2019.
La Cour poursuit une nouvelle fois une mouvance déjà ancrée, visant à protéger l’indépendance des juges de toute dérive arbitraire, en constatant que la détention provisoire des requérants ne s’est pas déroulée selon une procédure prévue par la loi au sens de la Convention, qu’elle ne constituait pas une mesure strictement requise en l’espèce, et ce concernant les juges ordinaires, les procureurs et les juges suprêmes mis en cause. Ainsi, elle statue en équité et condamne à l’unanimité l’État turc pour violation de l’article 5§1, et impose le versement d’une somme forfaitaire de 5000 euros à chacun des requérants, au titre du préjudice moral et des dépens. En revanche, elle refuse à l’unanimité l’octroi de satisfactions équitables aux demandeurs.
Par Anouk THOMÉ (M1 Droit européen des droits de l’homme)