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La règle de l’anonymat du don de gamètes ne viole pas le droit au respect de la vie privée protégé par la Convention 
(CEDH, Gauvin-Fournis et Silliau c. France, 7 septembre 2023)

La Cour européenne des droits de l’Homme soutient de manière traditionnelle que « l’article 8 protège un droit à l’identité et à l’épanouissement personnel » (CEDH, Bensaid c/ Royaume-Uni, 6 février 2001, §47). Or en France, depuis les premières lois de bioéthique de 1994, le principe absolu d’anonymat du don de gamètes demeure. Celui-ci étant d’ordre public. Qu’en est-il des individus nés par assistance médicale à la procréation (AMP) souhaitant connaître l’identité du tiers donneur et accéder à des informations non identifiantes le concernant ? 

Tel est le sujet traité par l’arrêt Gauvin-Fournis et Silliau c. France du 7 septembre 2023 de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Il s’agit de deux requêtes jointes concernant un requérant ainsi qu’une requérante, tous deux nés d’une assistance médicale à la procréation. 

En l’espèce, la première requérante, née en 1980, a été conçue par insémination artificielle. Celle-ci a demandé en 2010, au centre d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de Bondy, de lui communiquer l’identité du donneur de gamètes et d’autres informations le concernant. Devant le refus implicite du centre, la requérante saisit alors la CADA, qui lui opposa à son tour un refus fondé sur le principe d’anonymat du don de gamètes, sur la « nécessité de préserver la vie familiale au sein de la famille légale de l’enfant », sur « l’intérêt moral et familial du donneur » ainsi que sur la crainte de voir l’offre et la demande de gamètes réduire et dissuader les parents de révéler à leur enfant son mode des conceptions. Ce refus fut confirmé par le tribunal administratif de Montreuil puis par la CAA de Versailles avant que le Conseil d’Etat ne rejette son pourvoi.

Le second requérant, né en 1989 a également été conçu par insémination artificielle. Celui-ci a demandé au CECOS de lui communiquer des informations relatives à son donneur. Là encore, le CECOS refusa implicitement de lui délivrer ces informations et tant sa saisine de la CADA que ses recours devant les juridictions administratives restèrent infructueux.

Les requérants formèrent alors une requête devant la CEDH sur le fondement des articles 8 et 14 combinés avec l’article 8 de la Convention. 

La Cour conclut d’abord à la recevabilité des requêtes au motif que même si le nouveau cadre juridique, issu de la loi de bioéthique du 2 aout 2021, leur est favorable, il est de jurisprudence constante que cela ne suffit pas à leur retirer la qualité de victime que si les autorités ont reconnu puis réparé la violation de la Convention (CEDH, Scordino c. Italie, 29 mars 2006, n°36813/97). Or cela n’a pas été le cas en l’espèce. Ainsi, la Cour estime qu’ils peuvent toujours se prétendre victimes. 

Sur le fond et s’agissant de l’allégation de violation de l’article 8 de la Convention, la Cour estime que la France jouit d’une ample marge d’appréciation en ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour garantir aux requérants le respect effectif de leur vie privée. Néanmoins, elle admet que celle-ci doit nécessairement être réduite du fait qu’un « aspect essentiel de l’identité » des personnes est en jeu. La Cour rappelle qu’il s’agit de questions de société, nécessitant l’intervention du décideur national. Elle poursuit en soulignant la qualité des débats approfondis sur la question et qu’il n’existe pas de consensus sur la reconnaissance du droit d’accès aux origines des personnes nées de dons mais « seulement une tendance récente en sa faveur ». Ainsi, le législateur a bien agi dans le cadre de sa marge d’appréciation et il n’est pas envisageable de lui reprocher son rythme d’adoption de la récente réforme. 

S’agissant des informations médicales non identifiantes couvertes par le secret absolu du donneur et le secret médical dont l’accès est jugé trop restrictif, la Cour commence par rappeler que « le respect du caractère confidentiel des informations relatives à la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les Parties contractantes à la Convention (Z.  c. Finlande, 25 février 1997, § 95) ». Elle admet que le droit à un accès effectif à de telles informations présente un lien avec les droits protégés par l’article 8 de la Convention. Néanmoins, le principe d’anonymat ne fait pas obstacle à ce qu’un médecin accède à ces informations en cas de nécessité thérapeutique comme la prévention du risque de consanguinité et la prévenance en cas de survenance d’une maladie génétique chez le donneur. Ainsi, la Cour considère que la France a maintenu un juste équilibre entre les intérêts en présence. 

De plus, concernant les enfants nés de dons survenus avant le 1er septembre 2022, date de la mise en place de la possibilité de saisir la CAPADD afin de rechercher l’éventuel consentement de leur donneur à la communication de son identité et autres informations non identifiantes, le fait de conditionner l’accès à ces informations au consentement du tiers donneur ne dépasse pas la marge d’appréciation laissée à l’État. En définitive, la Cour conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention. 

S’agissant de l’allégation de violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, la Cour estime que ce grief ne soulève aucune question distincte essentielle et donc qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur ce point. 

Ainsi, il convient de retenir que le refus de divulguer aux requérants nés d’une AMP, des données relatives aux donneurs de gamètes ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention. 

Léa Simeonov

M2 DEDH

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