L’interdiction française de l’exportation de gamètes et d’embryons dans le cadre d’une procréation post mortem validée par la CEDH
(CEDH, 14 septembre 2023, Baret et Caballero c. France)
Cette décision concerne deux affaires. Dans la première, il s’agit de l’interdiction d’exportation de gamètes du mari défunt de la requérante. Dans la seconde, il s’agit des embryons du couple que forme la requérante et son mari décédé. Dans les deux affaires, les requérantes entendaient faire exporter gamètes ou embryon vers l’Espagne qui autorise l’insémination posthume, procédé interdit en France. Dans ces deux affaires là encore, le Conseil d’État français a jugé que l’interdiction d’exportation de gamètes ou d’embryons permet de faire obstacle au risque de contournement de l’interdiction de l’insémination post mortem. Il a ajouté que le but est aussi de maintenir un équilibre entre les différents intérêts, et particulièrement de contrer un possible « dumping » éthique.
Les requérantes saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme en se fondant sur l’article 8 de la Convention qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale comprenant la décision d’un couple de concevoir un enfant et d’avoir recours à une aide médicale à la procréation (AMP). En effet, selon elles, les refus qu’elles se sont vues opposer concernant l’interdiction d’exporter des gamètes ou d’embryons à des fins prohibées par la loi française violent les droits garantis par l’article 8 de la Convention.
La question pour la Cour est alors de savoir si les autorités nationales, ici françaises, ont mis en place un équilibre entre les intérêts personnels des requérantes et les motifs d’intérêt général du législateur et du gouvernement.
La Cour relève que le cadre juridique français est le fruit d’un choix politique faisant intervenir des considérations d’ordre moral ou éthique. La loi française interdit ainsi de manière absolue la procréation post mortem. Plus précisément, le code de la santé publique interdit l’insémination posthume et l’exportation des gamètes ou embryons à l’étranger s’ils sont destinés à être utilisés à des fins qui sont prohibées sur le territoire national.
Pour la Cour, le rôle du décideur national est particulièrement important en l’espèce. Elle note en effet qu’il n’existe pas de consensus européen sur la question de la procréation posthume et de l’exportation des gamètes ou d’embryons à cette fin, ce qui confère aux États une large marge d’appréciation. Elle salue par ailleurs le contrôle in concreto mis en œuvre par le Conseil d’Etat dans la lignée de son arrêt Gonzalez Gomez, au terme duquel il a considéré que les requérantes n’avaient aucune circonstance particulière susceptible de permettre d’écarter l’application de la loi française.
La Cour conclut à l’absence de violation de l’article 8. Elle appelle cependant l’État à rester cohérent sur l’interdiction en cause au vu de la récente loi de 2021. En estime en effet que l’autorisation de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules « pose de manière renouvelée la pertinence de la justification du maintien de l’interdiction dénoncée par les requérantes ».
M2 DEDH