Violation de l’article 8 de la Convention pour l’Etat qui autorise l’adoption d’un enfant à l’encontre de la volonté de la mère
(CEDH, 10 décembre 2021, Abdi Ibrahim c. Norvège, req. 15379/16)
Dans cette affaire, la requérante, Mme Mariya Abdi Ibrahim, est une ressortissante somalienne ayant obtenu le statut de réfugiée en Norvège en 2009. Son fils, X, a été placé dans une famille d’accueil à l’âge de un an en 2010 par les autorités norvégiennes.
Ces mêmes autorités ont rendu une décision par laquelle la requérante a été déchue de ses droits parentaux et l’adoption de X par la famille d’accueil a été acceptée. L’adoption de X fait alors perdre à la requérante tous ses droits parentaux et lui interdit tout contact avec son enfant.
La requérante a alors formé un recours interne contre cette décision. Il convient ici de noter qu’elle ne demandait pas le retour de son fils auprès d’elle, car celui-ci avait déjà passé beaucoup de temps avec ses parents d’accueil et s’y était attaché. En effet, Mme Mariya réclamait un droit de visite afin que son enfant puisse conserver un lien avec sa famille et ses racines culturelles ainsi que religieuses (étant musulmane et la famille d’accueil chrétienne), chose impossible si son enfant est adopté. En mai 2015, la cour d’appel de Norvège la débouta de sa demande, autorisa l’adoption et lui refusa de saisir la Cour suprême en septembre de la même année. C’est pourquoi, dépourvue de tout recours, la requérante a saisi la CourEDH.
Pour commencer, la Cour reprend sa jurisprudence récente Strand Lobben et autres c. Norvège du 10 septembre 2019 relative à la protection de l’enfance. Elle avait alors posé le principe selon lequel lorsqu’un enfant est pris en charge par les autorités publiques, celles-ci ont l’obligation d’adopter des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera possible. De plus, elle complète en disant que l’Etat dispose d’une grande marge d’appréciation lorsqu’il décide de la prise en charge d’un enfant mais que cette marge d’appréciation est fortement réduite lorsqu’il pose des restrictions supplémentaires - telles que le droit de visite des parents.
Dans un second temps, logiquement, la Cour constate que les mesures prises par l’Etat norvégien, c’est-à-dire la déchéance des droits parentaux de Mme Mariya ainsi que l’autorisation d’adoption de X, constituent une ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de sa vie familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention au regard de l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion). Si ces mesures étaient bien prévues par la loi norvégienne et poursuivaient un but d’intérêt général, soit la protection de la « morale et de la santé » de X ainsi que ses « droits » (§143), c’est sur le point de savoir si elles étaient nécessaires que la Cour va s’attarder, en effectuant alors un contrôle rigoureux.
En effet, la Cour constate que la cour d’appel s’est principalement fondée sur le fait que X a réagi négativement aux rencontres avec sa mère pour autoriser son adoption. Or selon les juges de Strasbourg il était impossible pour un nombre aussi restreint de rencontres (deux lors du jugement) de tirer des conclusions claires quant aux futures rencontres, et ainsi d’établir que pour l’intérêt supérieur de l’enfant celui-ci ne devrait plus jamais voir sa mère.
Pour finir, la Cour conclut que les autorités internes n’ont pas assez pris en compte les droits de la requérante au respect de sa vie familiale, et en particulier le droit de la mère et de son fils à maintenir leur lien familial par un droit de visite. Ainsi, les raisons invoquées par le gouvernement n’étaient pas suffisantes pour justifier que le lien entre la requérante et X devait être rompu.
La Cour condamne la Norvège à l’unanimité pour violation de l’article 8 de la Convention et lui enjoint à verser 30 000 euros de remboursement à la requérante pour frais et dépens, en rejetant à la majorité cette fois sa demande d’indemnisation du préjudice moral.
Par Louis DENIS (M2 Droit européen des droits de l’Homme)