Défaut d’accès aux soins : la possibilité pour les personnes ayant dû quitter leur territoire de bénéficier du statut de réfugié
(CJUE, 5 octobre 2023, C-294/22)
Le présent arrêt a été rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 5 octobre 2023. Cet arrêt traite d’une demande de décision préjudicielle s'agissant de l’interprétation de l’article 12 de la directive 2011/95 relative aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale.
En l’espèce, un requérant apatride d’origine palestinienne est né en 1976 au Liban où il a vécu jusqu’en février 2019. Le 11 août 2019, il arrive en France. Ce dernier souffre depuis sa naissance d’une maladie génétique grave nécessitant des soins que l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), n’est pas en mesure de fournir, faute de moyens financiers.
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté la demande du requérant tendant à l’obtention du statut de réfugié ou, à défaut, du bénéfice de la protection subsidiaire. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a annulé cette décision et a reconnu au requérant la qualité de réfugié. L’OFPRA s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État qui surseoit à statuer pour poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union.
L’OFPRA soutient que la CNDA a commis des erreurs de droit. Cette dernière n’aurait pas recherché si le requérant avait été contraint de quitter la zone d’opération de l’UNRWA en raison de menaces pour sa sécurité. L’office considère également que la CNDA a jugé à tort que l’impossibilité pour l’UNRWA de financer les soins adaptés à l’état de santé d’un apatride d’origine palestinienne constitue un motif de cessation de la protection effective de cet organisme permettant au requérant de revendiquer le bénéfice de la Convention de Genève. L’OFPRA ajoute pour finir que la CNDA a jugé à tort que l’UNRWA doit être regardé comme ne pouvant assurer sa mission d’aide et d’assistance alors que la prise en charge de soin n’en fait pas partie et que de plus il n’est pas établi que le requérant ne peut pas bénéficier d’un traitement adéquat au Liban. La CNDA soutient que la protection ou l’assistance de l’UNRWA à l’égard du requérant avait cessé et que, partant, celui-ci pouvait réclamer de plein droit la qualité de réfugié. Elle a estimé que l’UNRWA se trouvait dans l’incapacité de prodiguer au requérant un accès suffisant aux soins de santé dont dépend sa survie ainsi que de lui assurer des conditions de vie conformes à sa mission d’assistance. Ce qui plaçait le requérant dans un état personnel de grave insécurité de nature à le contraindre à quitter le Liban.
La Cour avait alors à répondre à la question de savoir si la disposition litigieuse doit être interprétée en ce sens que la protection ou l’assistance de l’UNRWA a cessé lorsque cet organisme n’a pas été en mesure d’assurer à un apatride d’origine palestinienne relevant de sa protection l’accès aux soins et aux traitements médicaux que son état de santé nécessite ?
La Cour de justice de l’Union européenne rappelle le principe initial selon lequel la disposition litigieuse énonce que tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié « lorsqu’il relève du champ d’application de l’article 1er, section D, de la convention de Genève, concernant la protection ou l’assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ». L’UNRWA est un organisme des Nations unies qui entre dans cette catégorie d’exclusion. Cependant si la protection de l’UNRWA cesse pour quelconque raison sans que le sort desdites personnes ait été définitivement réglé cela fait office de clause de ré-inclusion et les requérants pourront se prévaloir de la directive précitée. La Cour avait déjà jugé dans un arrêt du 19 décembre 2012, Abed El Karem El Kott e.a C-364/11 que la cessation de la protection ou de l’assistance fournie par un l’UNRWA peut procéder de la suppression de cet organisme mais également de l’impossibilité pour ledit organisme ou ladite institution d’accomplir sa mission. Le fait pour une personne de quitter le territoire motivé par des contraintes indépendantes de sa volonté peut conduire à la constatation selon laquelle la personne a perdu la protection dont elle bénéficiait. La mission de l’UNRWA en matière sanitaire consiste à fournir des soins et des médicaments répondant aux besoins essentiels des personnes, et cette mission ne saurait dès lors dépendre de sa capacité opérationnelle. Cependant l’impossibilité de fournir des soins ne signifie pas automatiquement que la protection a cessé, il faut pouvoir prouver que l’absence de soin fait courir à cet apatride un risque réel de décès imminent ou un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé ou à une réduction significative de son espérance de vie.
En définitive, la Cour de justice de l’Union énonce que la protection de l’UNRWA doit être analysée comme ayant cessé. Et ce en raison du fait qu’il n’est pas en mesure d’assurer à un apatride d’origine palestinienne une protection de santé via des soins médicaux sans lesquels ce dernier court un risque réel de décès imminent ou un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé ou à une réduction significative de son espérance de vie. Les juges nationaux sont chargés d’apprécier un tel risque.
Le danger réel et sérieux sur la santé de ressortissants apatrides d’origine palestinienne dû à l’impossibilité pour l’UNRWA d’accomplir sa mission constitue une situation dans laquelle le requérant pourra bénéficier d’une protection internationale en qualité de réfugié.
M2 DEDH