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La nécessité d’opérer un contrôle ex nunc des assurances diplomatiques d’un pays ayant demandé une extradition 
(CEDH, 7 septembre 2023, COMPAORÉ c. France)

Le présent arrêt a été rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme le 7 septembre 2023 et traite de l’interdiction des extraditions en cas de risque de torture et de traitements inhumains et dégradants en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Dans le cas d’espèce, les autorités françaises ont décidé d’extrader François Compaoré, frère de l'ancien Président Blaise Compaoré. François Compaoré, ci-après le requérant, réside à Paris et dispose d’un titre de séjour régulier en France où il habite avec sa famille. Le requérant a été l’un des proches conseillers de son frère jusqu’à ce que ce dernier soit contraint de démissionner à raison d’un soulèvement populaire au Burkina-Faso. Avant ces événements, le 13 décembre 1998, le requérant a fait l’objet d’investigations dans le cadre d’une enquête portant sur l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo. Une commission d’enquête fut mise en place, elle conclut à un assassinat pour des motifs purement politiques. Après la chute de Blaise Compaoré en 2014 et un arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples de la même année pointant les défaillances du Burkina Faso sans la recherche et le jugement des assassins de Norbert Zongo, un magistrat instructeur délivra un mandat d’arrêt international à l’encontre du requérant « inculpé d’incitation à assassinats ». Une demande d’arrestation provisoire des autorités burkinabè fut diffusée à Interpol. 

 

Le requérant a été interpellé à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle en exécution du mandat d’arrêt susmentionné le 29 octobre 2017 alors qu’il revenait en France en provenance de la Côte d’Ivoire. Le lendemain, une demande d’extradition fut transmise aux autorités françaises au visa de l’Accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 signé entre la France et le Burkina Faso en raison des poursuites en cours pour les faits « d’incitation à assassinats ». Les autorités burkinabè donnèrent des assurances relatives à la non application de la peine de mort ainsi que sur les conditions de détentions futures du requérant. Par un arrêt du 5 décembre 2018, la chambre de l’instruction à émit un avis favorable à la demande d’extradition du requérant dont le pourvoi en cassation fut rejeté le 4 juin 2019. Par un décret du 21 février 2020, le Premier ministre français autorisa l’extradition du requérant, dont le recours pour excès de pouvoir fut rejeté par le Conseil d’Etat le 30 juillet 2021. Le requérant saisit la Cour européenne des droits de l’Homme d’une requête assortie d’une demande de mesure provisoire acceptée par la Cour. 

 

Le requérant avance un motif politique derrière la demande d'extradition, prétendant qu'elle vise à porter préjudice au « clan Compaoré » et à son parti, le CDP, en vue des élections de 2020. Il évoque également le risque de se voir infliger une peine d'emprisonnement à vie incompressible et d’être exposé à des conditions de détention indignes et à des actes de torture. Le Gouvernement au contraire considère que toutes les assurances diplomatiques ont été obtenues de la part des autorités burkinabè.

 

La Cour avait alors à répondre à la question de savoir si l’extradition du requérant vers le Burkina-Faso l’exposerait à un risque réel de subir la torture ou des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. 

 

La Cour européenne des droits de l’Homme conclut à la violation de l’article 3 dans son volet procédural en cas d’exécution du décret d’extradition. L’absence de prise en compte par les autorités internes du nouveau contexte politique et constitutionnel dans le pays d’accueil ne lui permet pas de soutenir que le risque allégué de violation à l’article 3 a été dûment écarté. 

 

La Cour avait alors à répondre à la question de savoir jusqu’où doit s’étendre le contrôle de la situation dans l’État d’accueil en cas de changement de régime politique ? 

 

Dans un premier temps il conviendra d’effectuer un rappel nécessaire du caractère absolu de l’article 3 et de son application en cas d’extradition (I) avant de traiter la nécessité de réexamen du contexte politique et constitutionnel ex nunc dans l’État d’accueil (II). 

 

1. La réaffirmation du caractère absolu de l’article 3 en matière d’extradition 

 

L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme est un article absolu ne souffrant d’aucune dérogation. Il prohibe la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants et cela en tant que valeur fondamentale de la démocratie. Il est de jurisprudence constante que ce principe absolu conduit à une interdiction formelle d’extrader ou d’expulser une personne à destination d’un Etat d’accueil où il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé risquera des traitements inhumains ou dégradants, (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989). Ce principe crée également une obligation matérielle pour les États de rechercher si un tel risque est encouru. On trouve ici un principe d’obligation de coopération en matière internationale pour les États. Il s’agit d’une obligation importante qui reste assujettie à l’interdiction de violation l’article 3, cette coopération n'effaçant pas le caractère absolu de l’article. Conformément à l’arrêt Khasanov et Rakhmanov c. Russie du 29 avril 2022, toute allégation de violation à l’article 3 doit faire l’objet d’un contrôle étendu.

 

Dans l’arrêt sous étude, la Cour s’attarde en premier lieu sur le risque de violation de l’article 3 résultant des conditions potentielles de détention du requérant et des assurances données par le Gouvernement burkinabè à cet égard. 

 

En second lieu, l’arrêt examine le risque d’emprisonnement à vie. Dans son arrêt de Grande Chambre Sanchez-Sanchez c. Royaume-Uni du 3 novembre 2022, la Cour a posé les principes généraux applicables en ce qui concerne les peines d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle et leur compatibilité avec l’article 3 de la Convention. Le raisonnement s’effectue en deux étapes. Dans un premier temps, le requérant doit trouver des éléments qui prouvent qu’il existe des raisons sérieuses de penser que son extradition et sa condamnation l’exposeraient à un risque réel de se voir infliger la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Dans un second temps, si le risque est prouvé, l’Etat doit vérifier s’il existe au sein de l’Etat d’accueil, dès que la peine a été prononcée, un mécanisme de réexamen qui permet aux autorités de regarder les progrès accomplis par le condamné pendant sa peine. Ici, le requérant s’expose à une peine de prison à perpétuité sans possibilité de réexamen avant 25 ans, compte tenu de l’âge de ce dernier (68 ans). Cela reviendrait à un réexamen des progrès accomplis à 93 ans. On voit ici que cela peut ne pas être en conformité avec les exigences posées par la jurisprudence eu égard aux peines de prisons à vie et à la liberté conditionnelle.

 

L’existence d’un risque de mauvais traitement s’apprécie in concreto et, par conséquent, peut être source d’interrogations et de critiques. A titre d’exemple, dans deux arrêts Cour EDH, du 1er février 2018, M.A. c. France et Cour EDH, du 29 avril 2019, A.M. c. France, la Cour a décidé que, pour des faits similaires d’expulsion de personne soupçonnée de terrorisme en Algérie en 2018 cela constituait un mauvais traitement, tandis qu’en 2019 cela n’était plus le cas.  On peut donc se demander s’il est envisageable de considérer qu’en un an les problèmes structurels présents dans l'État se sont dissipés. La Cour, dans l’arrêt sous étude, confirme la nécessité d’une analyse poussée et personnelle et, qu’au regard des exigences procédurales de demande de renseignements, l’Etat défendeur a diligenté une enquête sérieuse et étayée qui, avant les coups d’Etat de 2022, était de nature à prouver l’absence de risques de violations de l’article 3 en cas d’extradition. 

 

En matière d’extradition, le caractère absolu de l’article 3 pousse à une vigilance accrue, une nécessité constante d’examen actualisé eu égard à la situation des Etats, qui plus est lorsqu’ils ne sont pas parties à la Convention. Et s’il n’appartient pas à la Cour de juger la forme d’un gouvernement et les changements qui ont pu intervenir dans l’Etat d’accueil, elle se doit de contrôler si l’Etat défendeur, ici la France, s’est correctement assuré de la fiabilité des assurances diplomatiques fournies. 

 

2. La nécessité d’une appréciation ex nunc du risque 

 

La Cour rappelle que les Etats parties ne peuvent faire abstraction des changements politiques majeurs survenus dans l’Etat ayant sollicité une extradition lorsqu’ils examinent le risque de mauvais traitements. La nécessité d’un examen ex nunc, c’est-à-dire d’un examen actualisé, est particulièrement nécessaire lorsque, comme en l’espèce, non pas un mais deux coups d’Etat se sont produits postérieurement à l’adoption du décret d’extradition.

Après le coup d'État du 24 janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba a renversé le président élu. Un régime de « transition » a été instauré par le nouveau Président. Le nouveau ministre de la Justice burkinabè a réaffirmé le fait que le gouvernement maintient ses engagements dans le cadre de la procédure d’extradition du requérant. Ce dernier a par ailleurs émis une lettre à l’attention du ministre de la Justice français avec de nouveaux éléments de réponses sur les potentielles conditions de détention du requérant. A la faveur d’un second coup d'État militaire survenu le 30 septembre 2022, Ibrahim Traoré, un officier de l’armée burkinabè appartenant à une unité des forces spéciales anti-djihadistes, s’est emparé de la présidence par la force. La Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ainsi que l’Union africaine ont condamné fermement cette prise de pouvoir effectuée par des « moyens non constitutionnels ». 

 

La Cour note d’emblée, dans son appréciation, que le Burkina-Faso fait face à des changements majeurs d’ordre politique mais également juridique, et ce depuis le premier coup d'État de janvier 2022. Afin d’apprécier pleinement les conditions de respect de l’article 3, il convient de prendre en compte la validité et la fiabilité des assurances diplomatiques fournies par cet État, de nature à écarter le risque pour le requérant d’emprisonnement à vie ou de traitements contraires à l’article précité. Or, selon la Cour, les assurances données par le gouvernement démocratiquement élu avant les coups d’Etat sont à laisser de côté, alors même qu’elles l’auraient sans doute conduit à conclure à la conformité de l'extradition en l’absence de ces changements politiques et constitutionnels.

 

Dans l’arrêt sous étude, la Cour procède à un examen de la fiabilité des garanties constitutionnelles à la lumière d’un contexte politique radicalement différent au Burkina Faso. Conformément à l’arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni de 2012, la fiabilité des informations données est directement liée au contexte dans l’État donné. Il est important de comprendre que ce qui importe, c’est que les assurances soient données par des autorités aptes à engager l’État d’accueil. La Cour énonce que le gouvernement en place depuis le second coup d'État n’a pas confirmé les assurances diplomatiques précédemment données. Cette situation est donc constitutive d’une remise en cause de la fiabilité des assurances fournies. 

 

Dans le cas d’espèce, l’examen n’a clairement pas été actualisé, le nouveau gouvernement burkinabè n’ayant pas été contacté par le gouvernement français. Par conséquent, il n'est pas possible de considérer que tout risque de violation a été écarté. La Cour considère ainsi que le Gouvernement français aurait dû, de sa propre initiative, et même en l’absence de demande d’abrogation du décret litigieux, réexaminer la situation pour s’assurer de la fiabilité des assurances précédemment données par les autorités burkinabè. En l’absence de cet examen, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme en cas d’extradition.

 

Tessa Hamani

M2 DEDH

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