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Le refus des autorités d’inscrire sur l’état civil un homme transgenre en tant que père d’un enfant auquel il avait donné naissance, ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme

(Arrêt O.H et G.H contre Allemagne, 4 avril 2023)

L’affaire étudiée oppose les requérants, un parent transgenre (O.H.) et son enfant biologique (G.H.) aux juridictions allemandes qui refusent d’inscrire O.H. en tant que père de l’enfant auquel il a donné naissance. Ainsi, le premier requérant (O.H.), né femme fut reconnu comme étant de sexe masculin par les juridictions allemandes en 2011. En 2013, à la suite de l’arrêt de son traitement hormonal, O.H. donna naissance à son fils (G.H.) à l’aide d’un don de sperme, le donneur ayant par ailleurs renoncé de se voir reconnaître le statut du père légal de l’enfant.  

A la suite de la naissance de son fils, O.H. demanda au service de l’état civil à être inscrit en tant que père de celui-ci et non comme mère. Les juridictions allemandes refusèrent sa demande et en application de la loi allemande, l’inscrivirent en tant que mère de l’enfant. En effet, selon les dispositions de la loi allemande, la mère d’un enfant est la personne qui donne naissance à celui-ci. Ainsi, selon la Cour fédérale de justice, la reconnaissance de l’appartenance d’une personne au sexe opposé est sans incidence sur la relation juridique qui existe entre cette personne et ses enfants. O.H. fut donc inscrit en tant que mère de l’enfant avec les prénoms qu’il portait avant son changement de sexe. 

La Cour européenne des droits de l’Homme fut saisie par requête le 7 novembre 2018 au motif d’une violation potentielle de l’article 8 de la Convention. Les requérants affirment que le refus des juridictions allemandes d’enregistrer O.H. en tant que père de G.H. au motif qu’il avait donné naissance à celui-ci, en dépit de la reconnaissance judiciaire de son changement de genre survenu avant la conception de l’enfant violerait leur droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention. 

Le refus des autorités allemandes d’enregistrer un parent transgenre en tant que père d’un enfant auquel il a donné naissance est-il contraire au droit à l’autodétermination et au droit au respect de la vie privée tels que garantis par l’article 8 de la Convention ? 

La Cour va constater l’absence de consensus entre les États parties sur cette question, leur reconnaissant ainsi une large marge de manœuvre (I) tout en mettant en avant l’intérêt supérieur de l’enfant (II) avant de conclure à la non-violation de l’article 8 de la Convention dans le cas d’espèce. 

 

1. La reconnaissance d’une large marge d’appréciation au profit des États

Dans le cadre de leurs obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention, les États se voient attribuer une marge de manœuvre plus ou moins étendue dans le but de protéger de manière effective le droit à la vie privée des individus. La Cour rappelle ainsi que lorsqu'est en cause un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu, cette marge d’appréciation laissée aux États est, en principe, restreinte. En revanche, dans le but d’aménager un juste équilibre entre la souveraineté des États et le respect de la Convention, lorsque sont en cause des questions morales et ethniques et en l’absence de consensus, la Cour reconnaît aux États une ample marge d’appréciation. 

Dans un premier temps, la Cour observe que le requérant (O.H.) conteste non pas les inscriptions sur les registres d’état civil le concernant mais celles de son enfant. L’identité de genre de l’enfant n’est pas non plus en cause. Par conséquent, la Cour observe que la filiation entre le parent (O.H.) et l’enfant (G.H.) est bien établie, seule est en cause la nature de celle-ci, le requérant souhaitant l’établissement d’une filiation paternelle et non maternelle. Il en résulte que la marge d’appréciation reconnue aux États ne saurait être restreinte dans le cas de l’espèce. 

Dans un second temps, la Cour strasbourgeoise observe l’absence de consensus parmi les États européens sur la question de savoir la manière dont il doit être fait mention, dans les registres d’état civil concernant un enfant, que l’une des personnes ayant la qualité de parent est transgenre. Ainsi, seul cinq membres du Conseil de l’Europe ont prévu la mention dans les registres d’état civil du sexe reconnu, tandis que la majorité des États parties désignent comme mère la personne ayant accouché de l’enfant. Cette absence de consensus souligne le caractère délicat des questions liées au changement de genre et à la qualité de parent, justifiant ainsi la large marge d’appréciation octroyée aux États. 

Enfin, la Cour relève que les autorités allemandes ont été amenées à mettre en balance les différents intérêts en présence à savoir les droits du parent transgenre avec les droits fondamentaux et intérêts de l’enfant. Il a également été pris en compte l’intérêt public consistant à assurer la cohérence de l’ordre juridique et l’exactitude des registres de l’état civil. La Cour estime en conséquence que les autorités nationales disposaient d’une marge de manœuvre étendue dans l’appréciation des faits de l’espèce et dans l’aménagement d’un juste équilibre entre les différents intérêts en présence. 

Malgré cette marge d’appréciation importante, la Cour veille à ce que le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer à chaque fois qu’est en cause une situation le concernant, soit respecté. 

 

2. La volonté de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant

Dans le cadre de cette affaire, la Cour européenne des droits de l’Homme avait la difficile tâche de mettre en balance plusieurs intérêts, privés et publics, ainsi que plusieurs droits divergents. Ces différents intérêts sont tout d’abord les droits du parent transgenre, les droits fondamentaux et l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que l’intérêt public résidant dans la cohérence de l’ordre juridique et dans l’exactitude des registres de l’état civil. 

Dès lors, malgré l’existence d’une large marge d’appréciation des États, ceux-ci restent néanmoins soumis au contrôle de la Cour examinant si un juste équilibre entre les différents intérêts a été respecté.

La prévalence de l’intérêt supérieur de l’enfant implique de respecter son droit à connaître de sa filiation, son droit à recevoir soins et éducations de ses deux parents ainsi que son intérêt à un rattachement stable à ses parents. 

Le raisonnement de la Cour se fonde plus particulièrement sur l’intérêt de l’enfant à connaître ses origines et à bénéficier d’une filiation dont le genre découle de l’apport biologique de son parent à sa conception et à sa naissance. Cette filiation présente, selon le même raisonnement, l’intérêt de rattacher l’enfant de manière stable et immuable à une mère et à un père, sans possibilité de modification en fonction des changements de genre des parents. 

Au regard de la mise en balance entre l’intérêt des droits du parent transgenre et l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, l’examen du respect de la vie privée est un point primordial au regard des faits de l’arrêt. Cependant, la Cour en a jugé ainsi du fait qu’en l’espèce, le lien de filiation n’est pas directement mis en cause, mais seulement au regard de la mention du sexe à l’état civil. Elle souligne également le fait que l’acte de naissance dans sa version complète étant rarement exigé, cela permet ainsi de préserver un juste équilibre entre les droits des requérants, les considérations relatives au bien-être de l’enfant ainsi que les intérêts publics.

  Elen Avetisian et Faustine Péclier

  M1 DEDH

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