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Une législation belge imposant sans exception qu’une introduction d’une demande de regroupement familial se fasse en personne auprès d’un poste diplomatique compétent est contraire au droit de l’UE

 

(CJUE, 18 avril 2023, C-1/23)

 

En 2011 déjà, Thomas Hammarberg, ancien Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe critiquait la mise en place, par certains pays de l’UE, de conditions excessives quant à la mise en œuvre du droit au regroupement familial. Dans son livre vert de 2011, la Commission rejette l’idée d’une refonte de la directive 2003/86/CE mais s’engage à édicter des lignes directrices sur son application. 

 

Tel est l’objet de l’arrêt du 18 avril 2023 de la CJUE portant sur l’introduction d’une demande de regroupement familial d’une famille syrienne. Le père, ayant quitté la Syrie en 2019, s’est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2022 par une administration belge compétente. L’avocat de la famille a ensuite introduit une demande d’entrée et de séjour au titre du regroupement familial auprès de l’Office des étrangers de Belgique pour le compte de la mère et des deux enfants, afin que ceux-ci puissent rejoindre le requérant en Belgique.

 

Or, le droit belge prévoit que le conjoint et les enfants mineurs doivent introduire la demande de regroupement familial auprès du représentant diplomatique ou consulaire belge compétent pour le lieu de leur résidence ou de leur séjour à l’étranger et aucune dérogation à cette obligation de présence n’est prévue selon l’article 12 bis, paragraphe 1, premier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980, transposant l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2003/86. 

 

L’Office rejette donc la demande des requérants au motif que celle-ci a été effectuée par courriel et non pas par les requérants en personne. Ceux-ci ont par la suite assigné l’État belge devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles dans le but d’obtenir l’enregistrement de la demande de regroupement familial. Ils soutiennent qu’au regard de la situation une telle exigence ne peut être imposée car elle n’est pas conforme au droit de l’UE. L’État belge justifie ce refus par le fait que la présence des personnes est indispensable afin de vérifier leur identité en relevant leurs identifiants biométriques.

 

La juridiction de renvoi maintient qu’aucune dérogation à la procédure ne peut être admise puisque l’État belge, conformément à l’article 5, paragraphe 1 de la directive 2003/86, a à juste titre librement déterminé qui peut introduire la demande de regroupement familial. En l’espèce il s’agit des membres de la famille en personne. 

 

Néanmoins, elle décide de surseoir à statuer et d’introduire une demande de question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, (JO 2003, L 251, p. 12), des articles 23 et 24 de la directive 2011/95/UE (que la Cour commencera par écarter) ainsi que des articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. 

 

A cet égard, une législation nationale imposant qu’une introduction d’une demande de regroupement familial se fasse en personne auprès d’un poste diplomatique compétent est-elle contraire au droit de l’UE ? 

 

Au préalable, la Cour a accepté le 11 janvier 2023 que le renvoi en question soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence au vu de la situation sécuritaire en Syrie, en raison du fait qu’une décision tardive risquerait de rendre plus difficile le regroupement familial au regard des exigences belges ainsi qu’au regard du risque de dégradation de la relation entre les enfants et le père, séparés depuis plus de 3 ans. 

 

Malgré le fait que l’Office ait informé les requérants par courriel le 3 février 2023 qu’il était apte à effectuer une exception, la Cour considère que sa réponse reste nécessaire à la résolution du litige puisque l’Office n’a pas enregistré la demande mais a simplement formulé une invitation à introduire une nouvelle demande. 

 

Sur le fond, la Cour considère qu’une réglementation nationale qui requiert que les membres de la famille du regroupant se rendent personnellement au poste diplomatique ou consulaire d’un État membre compétent pour le lieu de leur résidence ou de leur séjour à l’étranger, y compris dans une situation dans laquelle il leur est impossible ou excessivement difficile de se rendre à ce poste, n’est pas compatible avec le droit de l’Union. 

 

1. Une législation stricte compromettant l’effet utile de la directive 2003/86/CE

 

L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE donne la possibilité aux États de choisir qui doit effectuer une demande d’entrée et de séjour et auprès de quelle autorité celle-ci doit être introduite. Une marge d’appréciation leur est donc laissée mais ne doit pas «  être utilisée par ceux-ci d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de cette directive et à l’effet utile de celle-ci ». L’objectif est effectivement de favoriser le regroupement familial et donc d’assurer une vie familiale commune et d’accorder une protection aux ressortissants de pays tiers, notamment aux mineurs. 

 

En particulier, le considérant 8 précise que la directive vise à accorder « une protection accrue aux ressortissants de pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié en ce qu’elle prévoit des conditions plus favorables pour l’exercice de leur droit au regroupement familial, dès lors que leur situation demande une attention particulière à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie familiale normale ». 

 

Cet objectif a été rappelé dans le passé par la CJUE notamment dans un arrêt Chakroun de 2010 en affirmant que les Etats membres, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, ne doivent pas porter atteinte à « l’objectif de la directive, qui est de favoriser le regroupement familial, et à l’effet utile de celle-ci ». Surtout, elle affirme que l’autorisation du regroupement se doit d’être le principe. 

 

Ainsi, l’exigence stricte posée par la législation belge implique soit de prendre un risque, soit d’attendre que la situation conflictuelle soit passée, avec le risque qu’il ne soit trop tard, soit de renoncer à vivre une vie familiale normale et donc de compromettre l’effet utile de la directive, ce que rejette la CJUE.

 

2. L’exigence du respect des droits fondamentaux au service du droit au regroupement familial

 

Le considérant 2 de la directive reconnaît les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la Charte. L’article 7 de la Charte reconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale et l’article 24 paragraphe 2 consacre l’obligation de prendre en considération l'intérêt supérieur de l’enfant et le paragraphe 3 reconnaît la nécessité pour un enfant d’entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses deux parents. 

 

Or, le droit belge ne prévoit pas de dérogation à l’exigence de comparution des membres de la famille du regroupant en personne et ce, même dans l’éventualité où cela leur est impossible ou très difficile et périlleux pour leur intégrité ou leur vie. Les obstacles tels que des conflits armés, comme dans le cas syrien, ne sont pas pris en compte. Cependant, cette impossibilité tend à rendre plus difficile le regroupement familial et donc constitue une ingérence dans le droit de la vie privée et familiale de l’ensemble de la famille puisqu’en réalité le droit au regroupement familial lui-même s’en trouve atteint.

 

La Cour rappelle l’importance pour les États de faire preuve de flexibilité dans de telles situations et ce, en admettant notamment le recours aux moyens de communication à distance. Cela permettrait de réduire les risques de traitements inhumains ou dégradants et de torture, voire d’atteinte à la vie existant dans les zones à traverser pour se rendre auxdits postes. 

 

De plus, dans le cas d’espèce, cette difficulté perdurant dans le temps, les intéressés risquent de dépasser le délai prévu par l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa de la directive 2003/86 donc des conditions supplémentaires plus strictes risquent de s’appliquer. 

 

La Cour en profite pour apporter des précisions dépassant la situation factuelle litigieuse.  Elle précise qu’une comparution en personne peut avoir lieu ultérieurement dans le but d’effectuer les vérifications d’identité et de liens familiaux. De plus, elle incite à délivrer au même moment les documents autorisant l’entrée sur le territoire de l’État concerné. La Cour souhaite véritablement limiter les déplacements qui ne sont pas strictement nécessaires et exige que les États mettent en œuvre tous les moyens possibles pour faciliter cette comparution à travers l’émission de documents consulaires ou de laissez-passer.

 

Ainsi, le droit au respect de l’unité de la famille (article 7 de la Charte) se trouve disproportionnellement atteint par rapport à l’objectif de lutter contre les fraudes liées au regroupement familial, raison pour laquelle la législation belge est contraire au droit de l’UE. 

 

Léa Simeonov 

M1 DEDH

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