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La question du placement en centre de rétention d’enfants mineurs accompagnant leurs mères

 

(CEDH, 4 mai 2023, A.M et autres c. France (n°7534/20) et CEDH, 4 mai 2023, M.C c/ France (n°4289/21))

 

Le 4 mai 2023 la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu deux arrêts eu égard au placement en rétention administrative d’enfants accompagnant leurs mères et son caractère attentatoire aux droits et libertés garanties par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH).

 

Dans l’affaire A.M. et autres c. France la requête traite du placement en rétention administrative d’une mère accompagnée de ses trois enfants âgés de huit mois, six et treize ans pour une durée de 10 jours. Dans l’affaire A.C. et M.C. c. France il s’agit du placement en rétention administrative d’une mère et de son fils âgé de sept mois pour une durée de 9 jours. 

 

Les deux requérantes sont des ressortissantes étrangères faisant à l’époque l’objet d’un transfert conformément au règlement Dublin III. L’une a refusé son transfert et s’est donc vue placée en rétention administrative. La seconde y a été placée dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de transfert. Les rétentions administratives ont fini par prendre fin à la suite des demandes de mesures provisoires. Deux requêtes ont été formées devant la CEDH contre la République française. 

 

Il s’agit dans les cas d’espèce de savoir si le placement en rétention administrative d’enfants accompagnant leur mère constitue une violation à la Convention.

 

Les requérantes allèguent que leur placement en rétention administrative est contraire aux articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention. Mais également que le placement d’un mineur en rétention administrative est contraire à l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) et l’article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de la détention). 

 

La Cour conclut dans les deux affaires à l’unanimité qu’il y a eu violation des articles 3 et 5 de la Convention. Elle condamne l’Etat français à verser une satisfaction équitable aux requérants. 

 

Dans un premier temps, comme le fait la Haute juridiction, il conviendra de traiter l’allégation de traitements inhumains et dégradants (I) avant d’évoquer le droit à la liberté et à la sûreté (II). 

I. La caractérisation d’un traitement inhumain et dégradant

Eu égard à la violation alléguée à l’article 3 de la Convention prohibant les traitements inhumains et dégradants, la Cour a le même raisonnement dans les deux affaires. Elle fonde le début de sa réponse sur sa jurisprudence antérieure l’affaire A.B. et autres c. France (no 11593/12, § 110, 12 juillet 2016) dans laquelle elle avait énoncé que le fait que les requérants mineurs soient accompagnés de leur mère n’est pas une circonstance de nature à exonérer l’Etat et les autorités de leur obligation de protéger les enfants mineurs. Un principe déjà établi et ayant été posé par l'arrêt Popov c. France en date de 2012. L’article 3 crée une obligation positive de protection et de mise en place de mesures adéquates lorsqu’il s’agit d’enfants mineurs.  Elle rappelle également que la vulnérabilité particulière tirée de la qualité d’enfant doit toujours prévaloir sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier du parent. Bien que l’état de stress et d’angoisse dans lequel ont été placé les enfants à lui seul ne constitue pas une violation, le caractère répétitif des effets sur le plan psychique et émotionnel causé par la privation de liberté est de nature à créer des conséquences néfastes sur des enfants, notamment en bas âge. Compte tenu de l’âge des enfants, de la durée et des conditions du placement, ces derniers ont été soumis à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. 

De plus étant donné le lien unissant un enfant et sa mère et les émotions partagées, le traitement subi par les requérantes dépasse également le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention ce qui constitue une violation plus importante dans la mesure ou dans la décision de 2016 précitée la Cour ne retient pas la violation de l’article 3 au sujet de la mère. Le 12 juillet 2016, la France avait déjà été condamnée dans 4 affaires similaires pour violation de l'article 3 en raison de la rétention des enfants en bas âge accompagnant leurs parents placés en rétention. Ces condamnations sont intervenues dans les arrêts R.K. c. France, n° 68264/14, A.B. c. France, n° 11593/12, R.C. et V.C c. France, n° 76491/14, A.M. c. France, n° 24587/12. En définitive, la violation par la France de l’article 3 de la CESDH est caractérisée en application de la jurisprudence constante de la Cour. Il convient également de relever que malgré les nombreuses condamnations de la France, la situation est toujours d’actualité comme le montre les deux arrêts sous étude. 

 

 

II. La caractérisation d’une violation au droit à la liberté et à la sûreté 

 

Les requérants dans les deux arrêts sous études soutiennent une violation à des articles 5§1 et 4 de la Convention. Eu égard à l’article 5§1, la Cour fonde son raisonnement sur sa jurisprudence dans le cadre de l’affaire M.D. et A.D. c. France (no 57035/18, § 63, 22 juillet 2021). Cet arrêt précise que le placement et le maintien en rétention d’un enfant mineur avec sa mère n’est valable que s’il est prouvé que c’est une mesure de dernier ressort. Les autorités doivent prouver qu’elles ont cherché effectivement à trouver et à mettre en place une mesure moins attentatoire aux libertés. Or dans ces affaires, rien ne montre que les autorités ont eu recours à ces mesures en dernier ressort. Dans le cas d’espèce, comme précédemment évoqué, il ne fait aucun doute que la mesure n’est ni nécessaire ni proportionnée et ne constitue pas l’option de dernier recours.  La Cour conclut donc à la violation de l’article 5§1.  

 

Eu égard à l’allégation d’une violation de l’article 5§4 de la Convention, la Cour considère que les juridictions internes dans le cadre de ces deux affaires ont insuffisamment pris en compte la présence des enfants, un devoir qui pourtant leur incombait. L’absence de prise en compte de la qualité d’enfant est par ailleurs accentuée par le renouvellement de la mesure. De plus, dans l’affaire A.C. et M.C. c. France, la requérante avait à l’origine fait l’objet d’une assignation à résidence que cette dernière respectait, rendant la mesure encore plus inconsidérée. Le droit français prévoit en la matière que « [l]’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Nonobstant, cela ne semble pas avoir été pris en compte lors de la mise en œuvre des placements et de leur renouvellement. Par conséquent, la Cour conclut à une violation de l’article 5§4 de la Convention. 

 

En définitive, il est de jurisprudence constante que le placement en centre de rétention d’enfants mineurs qui accompagnent leurs parents constitue un traitement dégradant. Mais également que cela peut constituer une violation au droit à la liberté et à la sûreté et le droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de la détention. Il faudra maintenant attendre de voir si la France opérera de réelles modifications eu égard au contrôle de ce type de mesures. 

 

Tessa Hamani 

M1 DEDH 

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