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L’application immédiate d’un nouveau délai de recours contentieux porte une atteinte excessive au droit d’accès à un tribunal
(CEDH, 9 novembre 2023, Legros et autres c. France)

Dans un arrêt rendu le 9 novembre 2023, à l’unanimité, la Cour européenne des Droits de l’Homme condamne la France pour la violation de l’article 6§1 assurant le droit à un procès équitable et de l’article 1er du Protocole 1 relatif à la protection de la propriété. 

 

En l’espèce, M. Legros avait souhaité acquérir un bien immobilier qui avait été préempté par une commune. N’ayant pas été informé de la possibilité d’un recours devant les juridictions administratives et de son délai, il n’avait pas saisi directement le tribunal administratif. Sa requête a finalement été rejetée au motif que cette dernière était tardive. Monsieur Legros et 17 requérants ont alors saisi la Cour européenne des droits de l’Homme pour contester la jurisprudence Czabaj et ses conséquences. 

 

En effet, le Conseil d’État, dans son arrêt Czabaj du 13 juillet 2016, a réalisé un revirement de jurisprudence qui limite le délai de recours contentieux pour contester une décision administrative individuelle dans un recours pour excès de pouvoir. Ainsi, en l’absence de mention des voies et délais de recours dans une décision prise par l’administration, cette dernière ne pourra être contestée que dans un « délai raisonnable » qui ne pourra pas excéder un an à compter de la notification ou de la connaissance de la décision. 

 

Dans un premier temps, la Cour rappelle que la création d’une nouvelle condition de recevabilité par voie prétorienne ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable. En effet, la Cour considère qu’une évolution jurisprudentielle n’est pas contraire à la bonne administration de la justice. Ainsi, la création par voie prétorienne d’un nouveau délai de recours contentieux n’est pas contraire au droit d’accès à un tribunal.  

 

La Cour souligne, dans un second temps, que l’application immédiate d’une nouvelle condition de recevabilité, appliquée de façon rétroactive, est imprévisible et imparable pour les requérants. En effet, à la date où les requérants ont saisi les tribunaux administratifs, ils ne pouvaient pas raisonnablement anticiper les effets de la décision Czabaj sur leurs recours respectifs. Ils ne pouvaient donc nullement remédier à la cause d’irrecevabilité de leur recours. La Cour rappelle que le droit d’accès au tribunal doit être concret et effectif. Aussi, un individu doit pouvoir contester un acte qui constitue une ingérence pour ses droits. Ce principe doit assurer la sécurité des rapports juridiques et favoriser la confiance du public dans la justice. L’essence du droit d’accès à un tribunal est, dans cette affaire, altérée. L’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme est donc violé. 

 

Enfin, dans le cas de M. Legros, la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé, par conséquent, qu’eu égard à la perte de jouissance du bien dont il a été privé, et aux chances qu’il avait de se le voir restituer, l'article 1er du Protocole 1 a été violé.  

Louise LE BERRE

M2 DEDH

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