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La Cour condamne la France en raison de l’inexécution des ordonnances du juge des référés enjoignant l’hébergeant d’urgence de ressortissants étrangers
(CEDH, 23 novembre 2023, S.A. et autres c. France, n°40429/19 et 53466/21)

Le 23 novembre 2023, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu un arrêt s’agissant de l’hébergement d’urgence de ressortissants étrangers déboutés de l’asile. A l’origine de cet arrêt se trouvent deux requêtes. 

 

La première requête (n°40429/19) concerne un couple de ressortissants syriens dont l’asile a été refusé car ils sont déjà bénéficiaires de la protection subsidiaire en Espagne. En 2019, suite à de nombreuses demandes de mise à l'abri en raison de leur état de santé auprès des services d’hébergement d’urgence, les requérants ont obtenu une ordonnance du juge des référés qui fit droit à leur demande le 18 juillet 2019. Le préfet ne s’exécutant pas, le juge des référés releva dans une ordonnance du 29 juillet qu’il porte « une atteinte grave et manifestement illégale au droit des requérants à un recours effectif » en lui enjoignant de s’exécuter. N’étant toujours pas pris en charge après de nombreuses relances, les requérants demandèrent à la Cour d’enjoindre au gouvernement d’exécuter les ordonnances. Le 1er août 2019, la Cour prit donc une mesure provisoire à leur encontre pour qu’il assure l’hébergement d’urgence des requérants, date à laquelle leur prise en charge fut enfin assurée.

 

S’agissant de la seconde requête (n° 53466/21), celle-ci concerne un couple et dix enfants dont deux en situation de handicap, arrivés en France en 2019. Ils ont été déboutés de l’asile le 28 août 2020 et font l’objet d’une obligation de quitter le territoire. Les recours à l’encontre de cette décision ont été rejetés par le Tribunal administratif puis par la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Leur hébergement prit fin le 13 septembre en raison d’incidents rendant inadapté l’accueil de la famille. Le 23 septembre 2021, les requérants ont saisi le Tribunal administratif d’un référé-liberté aux fins d’être hébergés. Le 1er octobre 2021, le juge des référés fit droit à leur demande en raison de circonstances exceptionnelles. Quelques jours plus tard, le dernier enfant du couple décède, peu après sa naissance. Le 22 octobre, le juge des référés constata l’inexécution de son ordonnance et enjoignit à nouveau leur prise en charge. Suite à cela, les requérants ont relancé à plusieurs reprises les services d’hébergement, sans résultat et ont formé une demande préalable afin d’obtenir une indemnisation du préjudice subi en raison de l’inexécution des ordonnances. Enfin, le 4 novembre 2021, les requérants ont obtenu de la Cour une mesure provisoire afin d’être hébergés. La mise à l’abri effective fut mise en œuvre le 10 décembre 2021. 

 

Les requérants se plaignent devant la Cour de la violation de l’article 6§1, de l’article 13 combiné à l’article 3 ainsi que la violation de l’article 34 de la Convention. 

 

S’agissant de la violation de l’article 6§1, les requérants se plaignent de l’inexécution des ordonnances du juge des référés. La Cour décide d’analyser sous l’angle de cet article seulement et refuse de se prononcer sur l’article 13 combiné à l’article 3 de la Convention. 

 

A propos de la recevabilité, la Cour rappelle qu’en principe et selon le droit français, les ressortissants étrangers qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d’asile a été rejetée ne peuvent bénéficier d’un hébergement d’urgence sauf si la situation présente des « circonstances exceptionnelles » en vertu de l’article L. 743-3 du CESEDA (§51). Or, le cas d’espèce relève de cette exception et la Cour a déjà reconnu dans un arrêt M.K. et autres c. France (n° 34349/18 et 2 autres, §§ 109-118, 8 décembre 2022) que « l’octroi ou le refus d’une place en hébergement d’urgence constitue un droit civil qui ne saurait être regardé comme une décision relative à l’immigration, à l’entrée, au séjour ou à l’éloignement des étrangers ». Ainsi, cela crée un droit civil aux requérants donc l’article 6§1 est applicable. 

La Cour dispense les requérants de l’obligation d’épuiser le recours indemnitaire disponible en droit interne qu’ils auraient en principe dû engager car ils ont présenté une demande indemnitaire auprès de l’administration et également une demande de liquidation des astreintes auprès du juge administratif.

 

Sur le fond, les requérants font valoir que le manque de places en hébergement d’urgence est un problème structurel qui relève d’un choix politique. Le gouvernement, quant à lui, estime que les requérants ont bien été hébergés et que le juge a fait usage des pouvoirs dont il dispose. De plus, il se prévaut d’une saturation du dispositif d’urgence. La Cour estime à ce propos que celui-ci ne fournit pas les sources des informations sur lesquelles il se fonde, ne précise pas si l’hébergement dans d’autres départements était envisageable et la préfecture en cause n’a pas cherché à signaler à l’administration centrale les difficultés qu’elle rencontre, alors que les requérants ont fait preuve d’une diligence particulière et d’une pro-activité dans leur démarche. Ceux-ci se sont même vus ne recevoir aucune réponse à leurs nombreuses sollicitations. 

 

En raison de la passivité des autorités administratives, de leur refus caractérisé de se conformer aux injonctions du juge et du caractère non spontané de l’exécution des injonctions, la Cour conclut qu’il y a violation de l’article 6§1 de la Convention en soulevant l’importance tenant au lien de l’affaire avec la protection de la dignité humaine.

 

Concernant l'allégation de violation de l'article 3 de la Convention, la Cour donne raison au gouvernement, soutenant que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes. Ils auraient dû intenter une action en responsabilité de l'État devant les juridictions administratives pour obtenir réparation de leur préjudice, même s'ils avaient été dispensés de le faire en ce qui concerne l'article 6, paragraphe 1.

Léa SIMEONOV

M2 DEDH

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