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La condamnation de la France pour un manque d’impartialité objective de magistrats de la Cour de cassation, entretenant une relation professionnelle avec une des parties au litige
(CEDH, 14 décembre 2023, Syndicat National Des Journalistes et autres c. France n°41236/18)

Le 14 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme qui vise à protéger le droit à un procès équitable. Dans cette affaire, la question portait sur l’impartialité objective des magistrats de la Cour de cassation.

Le groupe d’édition juridique, Wolters Kluwers France, a souscrit à un emprunt d’un montant de 445 millions d’euros auprès de sa société mère afin de racheter des actions de sociétés dissoutes. Cet emprunt a créé un endettement, ce qui a eu pour conséquence de priver tout versement de participation aux salariés du groupe. Les syndicats des salariés ont alors saisi le juge judiciaire puis la Cour d’appel de Versailles qui a qualifié cette restructuration de « manœuvre frauduleuse ». Le groupe WKF a formé un pourvoi en cassation et l’arrêt de la Cour d’appel a été cassé le 28 février 2018. 

Ce n’est que plus tard, le 18 avril 2018, que le journal « Le Canard enchaîné » a divulgué que trois des six magistrats de la chambre sociale ayant jugé cette affaire en cassation sont des collaborateurs réguliers de WKF. En effet, ils sont rémunérés par le groupe pour donner des formations aux professionnels du droit. Le Conseil supérieur de la magistrature est saisi et rend sa décision le 19 décembre 2019. Il considère qu’il « existait un lien d'intérêt entre les magistrats ayant jugé le pourvoi et une partie au litige et que ceux-ci auraient dû se déporter ». Pour autant, il écarte la faute disciplinaire car le manquement déontologique n’était pas suffisamment grave. 

Les syndicats de WK saisissent la CEDH. Celle-ci va se servir des constats du CSM et confirmera qu’il faut écarter les arguments des magistrats selon lesquels leur absence de déport serait justifiée par « la complexité de l'affaire, la volonté d'éviter son attribution à une formation composée de magistrats non spécialisés et le fait que la solution aurait été conforme à une jurisprudence constante de la Cour de cassation ».

La Cour commence par rappeler que la contribution des magistrats à la diffusion du droit à l’occasion « d’événement scientifique, d’activités d’enseignement ou de publication » relève de leurs fonctions. Elle conclut que les relations professionnelles des magistrats avec l’une des parties au litige étaient « régulières, étroites et rémunérées ». Elle estime dès lors que ces derniers auraient dû se déporter et que les craintes des requérants quant à l’impartialité objective des magistrats sont « objectivement justifiées en l'espèce ». Elle conclut ainsi logiquement à la violation de l’article 6§1 de la Convention.

Anouk COURSAC

M2 DEDH

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