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ALYDE

L’arrêt du 5 mai 2020 : un contrôle ultra-vires d’une intensité sans précédent.

Dernière mise à jour : 29 nov. 2020

Le 5 mai 2020, le Tribunal constitutionnel fédéral d’Allemagne (BVerfGE) rend un arrêt inattendu en jugeant contraire au droit de l’Union le programme d’achats d’actifs du secteur public sur le marché secondaire (PSPP) de la Banque centrale européenne (BCE). En effet, ledit programme méconnaîtrait le principe de proportionnalité consacré à l’article 5§4 du TFUE et l’article 5§2 dudit traité, établissant la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. Le juge constitutionnel allemand effectue ici un contrôle ultra-vires – contrôle par lequel il vérifie que la BCE n’a pas outrepassé les compétences qui lui sont conférées par les traités.

En mars 2015, le Conseil des gouverneurs de la BCE adopte donc le PSPP, permettant aux banques centrales des États membres d’acheter des actifs sur le marché secondaire. Dans un contexte de risque de déflation dans la zone euro, l’objectif est de maintenir l’inflation à un niveau proche des 2%. L’outil de la variation des taux d’intérêt directeurs, certes efficace à court terme, n’étant plus mobilisable, cette solution a été appliquée par la BCE. La crainte de plusieurs États membres dont l’Allemagne, est un impact sur les politiques budgétaires et économiques des États membres, domaines dans lesquels l’Union n’a aucune compétence, à la différence de la politique monétaire[1]. Dans le cas où une telle crainte serait fondée, la BCE outrepasserait ses compétences. C’est dans cette optique que le BVerfGE a posé 5 questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dont une concernant plus particulièrement le respect de l’attribution des compétences : « La décision [...] 2015/774 [...] dans sa version actuelle, enfreint-elle les articles 119 et 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, ainsi que les articles 17 à 24 du protocole sur [le SEBC et la BCE], aux motifs qu’elle excède le mandat de la BCE en matière de politique monétaire, tel que le régissent ces dispositions, et empiète par conséquent sur la compétence des États membres ? ».

Cette dernière valide le PSPP de la BCE[2], retenant que les achats sur le marché secondaire ne sont pas interdits par l’article 123 TFUE et que cette dernière a suffisamment motivé ce programme dans le contexte économique précité. Enfin et surtout, après avoir affirmé que le PSPP s’inscrit dans les compétences attribuées à la BCE et donc à l’Union, elle effectue un contrôle de proportionnalité. Elle juge ainsi que les moyens mis en œuvre – achats de titres sur le marché secondaire – sont prompts à réaliser l’objectif de stabilité des prix poursuivis par la BCE – taux d’inflation proche de 2% – et que la BCE par son programme, n’est pas allée au-delà du nécessaire afin d’atteindre son objectif. Après une mise en balance des intérêts en présence, la CJUE juge que le PSPP est proportionné et que la BCE a respecté le principe d’attribution des compétences.

Quant à elle, la BVerfGE estime que tel n’est pas le cas car les actions monétaires de la BCE auraient des effets significatifs sur les politiques budgétaires et économiques des États membres. Elle argue en effet que la CJUE se serait limitée à contrôler a minima l’acte litigieux, se cantonnant à effectuer un contrôle restreint – lequel se limite à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. Néanmoins la Cour a effectué un contrôle de proportionnalité rigoureux en trois étapes conformément à sa jurisprudence constante, sans approfondir davantage son contrôle – en étudiant la substance de l'acte – car elle n'en a pas les compétences, à la différence des agents de la Commission européenne et de la BCE.

Ce n’est toutefois pas la première fois que le BVerfGE effectue un contrôle ultra-vires. Il a en effet à plusieurs reprises vérifié la conformité d’actes ou de prises de décision d’institutions de l’Union, tout en affinant ses modalités.

A l’occasion de l’adoption du traité de Lisbonne, le BVerfGE vérifie la conformité de ce dernier avec la Loi fondamentale allemande et met en place la possibilité d’effectuer un contrôle ultra vires des actes de l’Union et de respect de l’identité nationale, affirmant même que ce contrôle doit être opéré chaque fois que cela est nécessaire[3] : « La Cour constitutionnelle fédérale vérifie que, dans le respect du principe de subsidiarité, principe du droit communautaire comme du droit de l’Union, les actes juridiques des organes ou des institutions européens respectent les limites des droits de souveraineté attribués à ceux-ci dans le cadre du principe d’attribution. (…). Tant le contrôle ultra vires que le contrôle du respect de l’identité constitutionnelle peuvent conduire à ce qu’une disposition de droit communautaire ou, à l’avenir, de droit de l’Union soit déclarée inapplicable en Allemagne. ». Cet arrêt est la matérialisation juridictionnelle de l’atmosphère politique du traité de Lisbonne, celle du « retour aux États » – ceux-ci voulant retrouver plus de sécurité quant à leurs compétences et pouvoir davantage contrôler celles de l’Union.

En 2010 à l’occasion d’un arrêt Honeywell, le BVerfGE étend son contrôle et permet de déclarer l’incompatibilité d’un acte de droit de l’Union avec la Loi fondamentale allemande « si la transgression des compétences est manifeste et d’une importance structurelle »[4]. Qui plus est, il s’arroge le droit de déclarer inapplicable en Allemagne un acte juridique de l’Union européenne, s’il outrepasse ses compétences dans la mesure où cet acte n’est pas couvert par la loi d’approbation du traité.

Par son arrêt du 5 mai 2020, le BVerfGE n’en est donc pas à son coup d’essai. Néanmoins, alors que ses précédents arrêts ont soit été rendus avant une décision de la CJUE contenant de simples mises en garde, soit après une décision de la Cour de Luxembourg mais en conformité avec celle-ci, le BVerfGE rend ici un arrêt inattendu. En effet, ce dernier va à l’encontre d’une décision de la CJUE rendue a priori – rappelons que ces décisions et par extension le droit européen priment sur les droits nationaux[5], effectuant lui-même un contrôle de proportionnalité – balayant les conclusions de la Cour – de l’acte de la BCE et en tire les conséquences, tout en donnant des injonctions au gouvernement allemand. Cet arrêt est en définitive une version d’une intensité sans précédent du contrôle ultra-vires, puisque le juge constitutionnel national s’attribue le droit de vérifier la conformité d’un acte non seulement à son droit constitutionnel, mais également au droit primaire. Une acceptation de ceci marquerait un tournant majeur dans le contrôle des actes de droit de l’Union, tant cette pratique pourrait amener à une contradiction entre cours nationales et la CJUE, à qui le droit primaire confère le monopole de la conformité des actes des institutions de l’Union au droit primaire.


Pour l’heure, la CJUE a publié un communiqué de presse[6] dans lequel elle rappelle la primauté du droit de l’Union sur les droits nationaux et l’autorité des arrêts rendus à titre préjudiciel sur les juges nationaux, permettant de garantir l’unité de « l’ordre juridique »[7] de l’Union et la sécurité juridique de tous.



[1] Art. 3§1 TFUE

[2] CJUE, Gde ch., 11 déc. 2018, Weiss, C-493/17 [3] BVerfGE, 30 juin 2009, Lisbonne, 2 BvE 2/08 [4] BVerfGE, 6 juil. 2010, Honeywell, 2 BvR 2661/06 [5] CJCE, 15 juil. 1964, Costa c. E.N.E.L., C-6/64 [6] CJUE, 8 mai 2020, Communiqué de presse n°58/20 [7] CJCE, 5 fevr. 1963, Van Gend En Loos, C-26/62


Étudiant du M2 Droit européen des affaires, promotion 2020-2021

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