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L’impact du COVID-19 sur l’application aux entreprises des règles de droit de la concurrence.

Dernière mise à jour : 29 nov. 2020


En temps de crise, le régime des aides d’État, empêchant les comportements déloyaux entre États membres, a toujours été plus malléable que celui des ententes et des abus de position dominante. Mais qu’en est-il dans le cadre d’une pandémie mondiale ? Le droit de la concurrence se fait hésitant, entre assouplissements et renforcements, il n’en demeure pas moins que dans l’ensemble des systèmes juridiques, les autorités de contrôle ont adapté les règles. L’idée est claire : faire preuve de pragmatisme face à la crise[1], sans pour autant tolérer des pratiques opportunistes d’entreprises cherchant à exploiter cette dernière[2]. La crise sanitaire a entrainé une hausse significative de la demande pour certains produits (médicaments, dispositifs médicaux) provoquant des difficultés de production et de distribution. Cette situation de choc, entre l’offre et la demande représente un danger, pouvant encourager des comportements anticoncurrentiels et l’augmentation injustifiée des prix. C’est pourquoi les autorités de contrôle réaffirment l’importance de continuer à faire appliquer les règles de concurrence, tout en essayant de les adapter.


Les premières règles impactées sont celles relatives à la procédure, pourtant d’ordre public, qui doivent être adaptées pour ne pas ajouter de charges aux entreprises. L’assouplissement s’est imposé de lui-même avec l’allongement des délais[3], et du traitement des dossiers. De la même manière, l’autorité de contrôle a dû ajourner les opérations de visite et de saisie (OVS). Plus surprenant, l’atténuation touche aussi partiellement les sanctions, le paiement pouvant faire l’objet d’un échelonnement ou d’un sursis, en introduisant un recours devant le juge des référés. Toutefois, rappelons-le, les autorités de concurrence s’étaient lancées dans une politique de sévérité, les sanctions ne pouvaient guère être atténuées, même par la prise en compte du contexte économique[4]. Pour déterminer les sanctions, une approche contextuelle du droit de la concurrence serait donc plus adaptée en temps de crise, pour permettre de « racheter » des entraves temporaires mais indispensables pour lutter contre la Covid-19. Pour se faire, il serait envisageable d’utiliser les lignes directrices prévoyant une réduction de l’amende en cas de danger grave pour la viabilité économique de l’entreprise[5].


Enfin, sur le fond, suite à la communication de la Commission européenne du 8 avril 2020, un comportement anti-concurrentiel pourra être jugé licite, non par l’application d’une exemption, mais bien parce que l’autorité de contrôle aura considéré qu’en période de crise, la prohibition ne s’applique pas. Il est donc possible pour les entreprises de coopérer dans le but d’assurer le bon fonctionnement des chaines d’approvisionnement pour les produits essentiels. Cette exception s’inscrit dans la lignée des articles 9 du TFUE et 35 de la Charte des droits fondamentaux, prévoyant la prise en compte de la santé humaine dans l’application des politiques de l’Union. En outre et afin de sécuriser les entreprises, une procédure ad-hoc a été mise en place, ces dernières peuvent donc soumettre leurs initiatives de coopération à la Commission et/ou aux autorités nationales de concurrence[6]. Ainsi, la Commission lève les barrières pour les coopérations qui peuvent restreindre la concurrence, mais qui, compte tenu de l’urgence et du caractère temporaire des mesures, ne « constitueraient pas une priorité pour la Commission dans le cadre de sa politique de contrôle de l’application des règles ». Ces pratiques restent subordonnées au test de proportionnalité et sont ancrées dans un champ d’application limité. Les dérogations encadrent seulement les accords et pratiques dont l’objet est de remédier aux pénuries ou aux problèmes d’approvisionnement affectant les produits essentiels.


Dans un second temps, nous assistons inversement, à une application rigoureuse du droit de la concurrence face aux entreprises qui profiteraient de la situation. Cette intensification concerne notamment les abus de position dominante ; songeons par exemple au marché du gel hydroalcoolique. Les autorités de concurrence prennent le risque d’abus au sérieux à l’image de la Competition and Markets Autority[7], notamment via le contrôle des prix excessifs. L’Union européenne n’ayant pas de système de « price gounging » comme aux Etats-Unis, le problème se règle sous le prisme de l’article 102 TFUE[8]. Or, face au champ d’application limité de cet article, la caractérisation de la position dominante et de l’abus n’est parfois pas aisée. Dans certaines situations, il est donc complexe de sanctionner effectivement et à temps les abus. Une solution pour faciliter la détermination d’une position dominante serait, de restreindre l’appréciation du marché pertinent en utilisant le confinement pour le justifier[9]. Au niveau du droit national, l’instauration de prix plafonds[10] ou l’usage du droit de la consommation ont pu permettre de dissuader les politiques de hausses de prix mais une réponse européenne aurait été préférable dès lors que la crise touche tous les Etats membres… Face au danger potentiel représenté par de telles entreprises, la doctrine s’est interrogée sur une application plus proactive de la procédure d’urgence prévue par l’article 8 du règlement n°1/2003, que la Commission a utilisé une fois à l’encontre de l’entreprise « Broadcom ». Ce dernier permet de prononcer des mesures provisoires en urgence si un « préjudice grave et irréparable risque d'être causé à la concurrence », utile pour contrebalancer les problèmes d’application de l’article 102 TFUE en période de crise.


En conclusion, les autorités de concurrence ont dû trouver un équilibre complexe, entre assouplissement nécessaire pour garantir l’accès et l’approvisionnement des produits essentiels, et intensification du contrôle face aux risques d’abus de certaines entreprises. Longtemps on a pu estimer que le droit de la concurrence tel qu’appliqué depuis les premiers traités était suffisant, la crise actuelle révèle pourtant l’inverse, la notion de position dominante notamment, ne semble pas apte à englober certaines structures de marché. Ces règles ont été pensées dans un monde dominé par l’économie de marché et le libre-échange, or, ce modèle montre aujourd’hui certaines limites. La Commission et les autorités de concurrence tentent donc d’exploiter leur pouvoir d’appréciation au sein d’un cadre temporaire qui reste évasif, en intégrant des considérations de santé publique, afin d’adapter au mieux les règles de concurrence.


[1] Face à la crise de 2009, dans un rapport sur sa politique de concurrence, la commission consacrait un chapitre entier sur la crise financière et mettait en avant « le rôle de la politique de concurrence dans le contexte de crise »

[2] « Exploitative pricing in the time of Covid‑19 », 26 Mai 2020, p. 3 : D’après l’OCDE les périodes de crises sont propices aux abus des entreprises disposant notamment d’un fort pouvoir de marché ou celles qui en acquiert en raison de la crise

[3] Communiqué de presse du 17 mars 2020 « les mesures de prévention de l’épidémie liée au Covid-19 vont avoir un impact sur notre capacité à traiter les dossiers »

[4] Tribunal de l’Union Européenne, 5 avril 2006 « Degussa contre Commission » (Affaire T279/02)

[5] Communication CE N°2006/C210/02

[6] Pour rappel la notification des accords n’est plus possible depuis l’entrée en vigueur du Règlement (CE) n°1/2003 qui consacre le principe d’auto évaluation des accords par les entreprises.

[7] L’autorité de concurrence du RU a en effet indiqué qu’elle sera particulièrement vigilante.

[8] CJCE « United brands » : Est constitutif d’un abus de position dominante, l’imposition d’un prix qui ne présente aucune relation raisonnable avec la valeur économique du produit.

[9] Feuille de route de la Commission du 3 avril 2020 pour évaluer s’il convient ou non d’actualiser la communication sur la définition du marché en cause (datant du 9 décembre 1997).

[10] En France avec le décret n°2020-197 du 5 mars 2020



Étudiante du M2 Droit européen des affaires, promotion 2020-2021

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