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L’impossibilité d’obtenir la reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant et l’ancienne compagne de sa mère biologique ne constitue pas une violation de l’article 8 de la Convention

(CEDH, 24 mars 2022, CE et autres c France, req 29775/18 et 29693/19)

La Cour traite ici deux affaires conjointes. Les deux requêtes concernent chacune un couple homosexuel ayant donné naissance à un enfant (via un donneur amical pour les premiers requérants, et via une assistance médicale à la procréation à l’étranger pour les seconds), puis s’étant séparés quelques années plus tard. Dans la première requête, l’ex-compagne de la mère biologique fit en 2015 une demande d’adoption plénière de l’enfant. Dans la seconde requête, l’ex-compagne demanda quant à elle la délivrance d’un acte de notoriété, afin de voir constater la possession d’état à l’égard de l’enfant. Ces deux demandes furent rejetées et les anciennes compagnes, ainsi que leurs enfants, ont alors intenté un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), invoquant une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 Convention européenne des droits de l’Homme).

Après avoir relevé que les situations en cause relevaient bien de la vie privée et familiale des personnes concernées, la Cour s’est demandée si ces situations relevaient des obligations positives ou négatives de l’Etat. La Cour considère qu’il ne s’agit, ici, pas de dénoncer une atteinte à l’article 8 par l’autorité publique, mais plutôt de dénoncer les lacunes du droit français ayant conduit au rejet des demandes des requérantes. La Cour examine donc l’affaire du point de vue des obligations positives de l’Etat français. S’agissant ensuite de la marge d’appréciation accordée à l’Etat, la Cour considère que, bien qu’il n’y ait pas de consensus européen sur cette question précise, le fait qu’un aspect essentiel de l’identité de l’individu soit en jeu vient réduire la marge d’appréciation de l’Etat. En effet, l’intérêt supérieur de l’enfant à disposer d’un lien de filiation l’unissant à son parent implique une marge d’appréciation réduite de l’Etat français.

La Cour vérifie ensuite si l’Etat, à travers son cadre juridique, a atteint un équilibre entre l’intérêt général et les intérêts des requérantes. S’agissant du droit au respect de la vie familiale, la Cour constate que les requérantes ont pu mener une vie familiale comparable à celle de la plupart des familles après la séparation du couple, notamment en raison du droit de visite et d’hébergement (première requête), et du partage de l’autorité parentale mis en place dans le cadre de la deuxième requête. Ainsi l’Etat français n’a pas manqué à son obligation positive de garantir aux requérantes le respect effectif de leur vie familiale.

S’agissant du droit au respect de la vie privée, la Cour indique que l’impossibilité d’obtenir, à titre de légitimation de leurs relations, la reconnaissance juridique du lien de filiation soulève une question sérieuse au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant et du droit au respect de la vie privée. Cependant, la Cour se fonde sur l’existence d’autres instruments juridiques en droit français permettant d’obtenir une reconnaissance de la relation entre l’enfant et l’ancienne compagne de sa mère biologique pour constater une non-violation de l’article 8. En effet, la Cour relève, notamment, le partage de l’autorité parentale qui permet une certaine reconnaissance en droit de la filiation. La Cour évoque également la possibilité d’une adoption simple (pour la première requête) et le dispositif mis en place par la loi bioéthique du 2 août 2021 permettant une reconnaissance conjointe de l’enfant lorsqu’une assistance médicale à la procréation a été réalisée à l’étranger (possible pour la deuxième requête).

Par conséquent, en raison de ces circonstances spécifiques, la Cour considère que l’Etat français a su maintenir un juste équilibre entre les intérêts en présence, et qu’il n’a donc pas violé l’article 8. En l’absence de tels instruments juridiques dans un autre Etat partie, il n’est pas exclu que la Cour retienne une solution différente de celle-ci.

Par Auriane Paulik (M1 Droit européen des Droits de l'Homme)

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