

La légalité confirmée du rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures de l’espace « Schengen »
(Conseil d’État, 7 mars 2025, 499702)
Quarante ans après la mise en place de l’espace « Schengen », le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur la conformité du rétablissement des contrôles aux frontières par la France au regard du nouveau règlement “Schengen”.
En effet, la France a décidé de réintroduire de manière temporaire des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen sur le fondement des articles 25 à 27 bis du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, dit "code frontières Schengen".
Cette décision se place dans un contexte de prévention face à une menace d’attentats terroristes qui existe depuis 2015, date à laquelle la France a décidé de réintroduire les contrôles à ses frontières avec les autres Etats de l’espace « Schengen ». Depuis 2015, le Gouvernement reconduit ce dispositif de contrôles aux frontières tous les six mois.
La décision de rétablissement des contrôles aux frontières pour la période allant du 1er novembre 2024 au 30 avril 2025 a été contestée par deux associations qui ont saisi le Conseil d’Etat en demandant l’annulation pour excès de pouvoir de la décision prise par le Premier ministre et la saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 25 bis du règlement mentionné ci-dessus.
Il est important de préciser que les juridictions statuant en dernier ressort, tel le Conseil d’Etat, ont une obligation de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice, à l’exception de quelques situations encadrées par la jurisprudence de la Cour. L’une de ces situations permettant d’exempter une juridiction de dernier ressort de cette obligation est l’absence totale de doute quant à l’interprétation à donner à une disposition du droit de l’Union. Nous verrons que le Conseil d’Etat applique cette exemption.
Dans cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que le rétablissement des contrôles aux frontières par le gouvernement français était conforme au nouveau règlement « Schengen », étant donné que cette décision était proportionnée au regard de la gravité des menaces terroristes et criminelles.
D’abord, le Conseil d’Etat établit que la décision de réintroduction des contrôles aux frontières par les autorités françaises consiste en une décision initiale de réintroduction des contrôles, et non en une décision de prolongement des contrôles. Cela est dû à la modification du règlement sur les frontières de l’espace « Schengen » le 13 juin 2024 qui ne dispose que pour l’avenir et ne prend pas en compte les mesures de réintroduction des contrôles prises par les Etats antérieurement à l’entrée en vigueur du règlement. Etant donné que la décision du Premier ministre français a été prise avant l’entrée en vigueur du règlement, celle-ci peut être considérée comme une décision initiale de réintroduction des contrôles.
Ensuite, le Conseil d’Etat constate que la mesure de réintroduction des contrôles aux frontières est fondée sur des motifs valables mentionnés par le règlement de 2016 permettant de justifier cette mesure. Ces motifs consistent en des menaces graves pour l’ordre public et la sécurité intérieure liées au risque terroriste islamiste ainsi qu’à l’activité des réseaux criminels de passeurs facilitant les flux migratoires illicites dans le nord de la France.
Enfin, les mesures sont considérées proportionnées au vu de la nature des risques terroristes et criminels existants. De plus, aucune mesure moins restrictive de la libre circulation des personnes ne pourrait prévenir les risques évoqués dans les mêmes conditions.
De cette manière, le Conseil d’Etat confirme la légalité de la décision prise par le Premier ministre sans saisir la Cour de Justice de l’Union européenne en raison de l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation des dispositions en cause.
Valèntina SAVAROC--GARAY
M1 DEDH