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La refonte de « Dublin III » : une équation à vingt-sept inconnues.

Dernière mise à jour : 1 déc. 2020


Souvent décrié, le Règlement Dublin III fait l’objet de plus en plus de questionnements et de remises en cause au sein de l’Union européenne (UE). À ce titre, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le 16 septembre 2020 vouloir « abolir » le Règlement de Dublin, ce dernier permettant de déterminer quel pays européen s’occupera de la demande d’asile. Le système Dublin adopté en 2013 se base sur le principe de confiance mutuelle des États membres de l’Union et estime alors que chaque État est capable de fournir un niveau de protection suffisant et équivalent aux demandeurs d’asile. À partir de ce postulat, la règle du premier pays d’entrée a notamment été mise en place, elle oblige alors l’individu à déposer sa demande dans son pays d’arrivée sur le territoire de l’UE. Ce système est également couplé au Règlement Eurodac qui permet une applicabilité effective de Dublin en organisant la collecte des données biométriques des personnes à leur entrée sur le sol européen et leur conservation dans un système automatisé afin de suivre le demandeur d'asile et son dossier et éviter ainsi que ce dernier ne dépose d’autres demandes.


Bien que la règle du premier pays d’entrée ne soit pas automatique et que d’autres critères permettent de déterminer un État responsable de la demande d’asile (notamment en cas de la présence de famille dans un autre pays), elle reste utilisée dans la plupart des cas. C’est à ce titre que la majorité de la pression migratoire des dernières années s’est portée sur l'Italie, la Grèce, Malte et l’Espagne.


À la vue de tous ces éléments, plusieurs questionnements peuvent surgir : en quoi le Règlement Dublin III a atteint ses limites ? Quelles seraient les solutions envisageables et quels sont les obstacles auxquels se confronte l’Union européenne dans son objectif de refonte ?


Tout d’abord, le Règlement Dublin III arrive à bout de souffle. En effet, les derniers flux migratoires qu’a connu l’Europe ont été concentrés sur très peu de pays. D’après une étude du Parlement européen, 90% des demandes d’asile sur la période allant de 2008 à 2017 se sont concentrées sur dix États membres seulement entraînant ainsi une pression administrative et économique.[1] De plus, le renvoi des « dublinés » dans le pays d’entrée n’est pas nécessairement chose aisée, ainsi nombreux restent « bloqués » dans les camps notamment à Calais ou au nord de Paris. Tous ces éléments ont alors eu pour conséquence de submerger les administrations menant à des délais dépassant le raisonnable, en effet, un demandeur d’asile peut attendre jusqu’à dix-huit mois avant d’avoir un retour sur son dossier.


Il s’agit également de pointer du doigt les effets dévastateurs sur le plan humain que peut engranger ce genre de situation. Notamment, dès 2009, le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies décriait une pratique récurrente chez les demandeurs d’asile qui consiste à se brûler le bout des doigts afin de changer leurs empreintes digitales « avec des clous chauffés à blanc ou de l'acide sulfurique pour qu'ils ne puissent plus être identifiés » afin de ne pas être renvoyés en Grèce par exemple.[2] Par ailleurs, les cas de trafic d’êtres humains et sexuel, notamment du fait des réseaux de passeurs de plus en plus organisés que les familles se voient contraintes de rembourser sur plusieurs années après leur arrivée en Europe. Phénomène parfaitement retranscrit par le sociologue Olivier Peyroux dans son ouvrage « Les fantômes de l’Europe ».[3]


De plus, la situation sanitaire actuelle n’a fait qu’accroître les difficultés. Il s’agit ici de noter le drame grec du tristement célèbre camp de Moria, principal camp de migrants et de réfugiés sur l'île de Lesbos, ouvert en 2013. En septembre 2020, ce dernier est parti en fumée à la suite de plusieurs incendies consécutifs, privant de toit près de 12 700 personnes qui se retrouvent finalement bloquées par les autorités dans une partie de l’île afin d’éviter la propagation du coronavirus.


Les limites du système Dublin ne sont ainsi plus à prouver : un engorgement des pays limitrophes de l’Union a conduit à un effondrement des conditions d’accueil qu’elles soient administratives ou humaines, d’où la nécessité évidente d’une réévaluation du système d’asile européen.


Le Règlement Dublin est également loin de faire l’unanimité au sein des États membres, certains le jugeant trop inégalitaire en décriant un manque de solidarité entre les États européens, et d’autres allant même à qualifier ce système de « laxiste » . La Présidente de la Commission a annoncé vouloir le remplacer par le nouveau pacte sur la migration et l’asile, mais la question de savoir quels changements apporter et si ces derniers permettront réellement de résoudre les principales problématiques actuelles reste quelque peu en suspens. La Présidente von der Leyen a alors affirmé sa volonté de créer un système davantage basé sur la solidarité et non plus sur la responsabilité. Cependant mettre en place une politique sur un sujet à haute sensibilité entre vingt-sept États créé indéniablement des divisions. On remarque alors trois blocs : le bloc du nord-ouest (Allemagne, France, Autriche, Benelux) peu enclin à changer le système actuel mais accepte un éventuel mécanisme de solidarité bien que ce dernier soit encore très flou. Ensuite, le bloc de Višegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) opposé aux demandes d’asile quelle que soit leur forme. Enfin, le bloc méditerranéen (Grèce, Italie, Malte, Chypre, Espagne), très fortement touché par les flux migratoires, est favorable à l’équilibre entre responsabilité et solidarité et reste en attente des réponses apportées par le bloc nord-ouest afin de mettre en place cet éventuel mécanisme de solidarité.


En outre, un mécanisme de répartition est aussi abordé depuis 2015.[4] Il s’agirait alors de répartir les demandeurs d’asile sur les différents États membres en fonction de leur poids démographique et économique. Bien que plus juste pour les États, ce système a pu être critiqué par plusieurs associations notamment la Cimade. En effet, sur le plan humain certains aspects sont à déplorer puisque ce genre de mécanisme ne pourra pas tenir compte des liens familiaux des demandeurs d’asile. Ce système a tout de même fait l’objet de plusieurs « essais » permettant la prise en charge d’un peu moins d’un quart des effectifs présents dans les pays en première ligne. Cependant, selon la Commission, les pays d’Europe centrale et de l’est qui restent fermement opposés à toute idée de solidarité, notamment la Pologne et la Hongrie, n’ont accueilli aucun migrant en provenance de Grèce ou d’Italie.[5]


Finalement, le 23 septembre 2020, la Commission européenne a enfin dévoilé son nouveau pacte sur la migration et l’asile basé davantage, comme promis, sur la solidarité afin de « rétablir la confiance entre les États membres et la confiance dans la capacité de l'Union européenne à gérer la migration ».[6] En effet, il prévoit une relocalisation des demandeurs d’asile vers les États volontaires en contrepartie, notamment, d’une faveur financière. La Commission annonce également des procédures accélérées permettant une étude directe du dossier de la personne lors de son passage à la frontière où l’on décidera de l’accord ou non de l’asile. À cela s’ajoute, une collaboration avec les États tiers afin de réduire le trafic de migrants et « développer des voies légales d’accès ». De surcroît, elle propose une structure de gouvernance commune permettant une meilleure cohérence et un cadre juridique plus efficace en ce qui concerne les retours. Enfin, la Commission annonce un plan d'action global sur l'intégration et l'inclusion pour la période 2021-2024.


En somme, les objectifs de refonte, bien qu’honorables, restent assez équivoques mais surtout difficiles à mettre en œuvre. En effet, les politiques migratoires divisent plus que jamais les États européens et malgré une position de la Commission qui se veut conciliante, les États de l’est font bloc. Afin d’enrayer cette opposition et trouver un terrain d’entente, le Premier ministre bulgare avait proposé au sein du Conseil de l’UE en mai 2018 (date à laquelle la Bulgarie assurait la présidence), de donner une compensation de 30 000 euros par demandeur d'asile, pour les pays ne souhaitant pas accueillir. Cependant, cette proposition très indulgente a suscité de vives critiques de la part des États du bloc méditerranéen affirmant qu’une telle mesure ne permettrait pas d’alléger rapidement leur charge. Finalement, la Commission a tout de même été obligée de prendre des mesures favorables aux pays de l’est et semble, à ce titre, proposer un renforcement accru des frontières extérieures de ces États contre leur participation au principe de solidarité impliquant de se porter volontaire pour la relocalisation des demandeurs d’asile.

Ainsi, les liens entre les différents États membres sont particulièrement distendus en matière de politique migratoire. L’Union se doit donc de prendre ses responsabilités pour faire face aux situations déplorables que peuvent connaitre actuellement les demandeurs d’asile, tout en restant conciliante entre ses différents membres. Le nouveau pacte sur la migration et l’asile semble s’efforcer de répondre à ces exigences tout en essayant d’effacer les erreurs de Dublin III, mais cela sera-t-il suffisant ?


[1] « Évaluation sur la mise en œuvre européenne du Règlement de Dublin relatif aux demandes de protection internationale » PE 642.813 – février 2020

[2] « France : Le HCR cherche une solution pour les migrants échoués à Calais », Centre d’actualités de l’ONU, 20 juillet 2009.

[3] Olivier PEYROUX, Les fantômes de l’Europe : les migrants face aux politiques migratoires, Éditions Non Lieu, 2020

[4] Décision du Conseil de l’Union européenne instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l'Italie et de la Grèce n°12098/15 - Avis du 17 septembre 2015

[5] « Progress report on the European Agenda on Migration » SWD(2017) 372 final

[6] Communiqué de presse du 23 septembre 2020 « Une nouvelle approche en matière de migration: instaurer un climat de confiance et un nouvel équilibre entre responsabilité et solidarité »




Étudiante du M2 Droit européen des droits de l'Homme, promotion 2020-2021, responsable adjointe à la communication de l'ALYDE (2020-2021)

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