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Anonymat et liberté d’expression : rappel utile d’une mise en balance indispensable

 

(CEDH, 7 décembre 2021, Standard Verlagsgesellschaft MBH c. Autriche (No. 3), req. 39378/15) - Arrêt uniquement disponible en anglais.

   La société requérante détient un quotidien version papier qu’elle publie également sous format numérique. Feuilletable en ligne sur le site internet dédié, ce dernier permet également de consulter divers articles d’actualité et de participer aux forums de discussions relatifs aux sujets abordés par lesdits articles. À cet égard, les utilisateurs du site, sous un pseudonyme, peuvent apposer leurs commentaires. Or, dans le cas présent, des commentaires offensants sont postés à la suite de la publication de deux articles à teneur politique. La société requérante fait alors l’objet de deux ordonnances judiciaires des juridictions autrichiennes, lui enjoignant de divulguer l’identité des auteurs de ces commentaires illicites. Ainsi, cet arrêt remet à nouveau en lumière ce qui n’est pour le coup plus une nouveauté, la question de l’anonymat en ligne.

 

D’abord, la Cour rappelle que le droit à l’anonymat sur internet jouit d’un rôle certain, notamment pour permettre la libre circulation des opinions sans crainte de représailles. Pour autant, selon elle, ce droit ne saurait à l’évidence être absolu. En outre, la Cour précise que ce droit à l’anonymat se doit d’être mis en balance avec les autres droits et intérêts en cause. Plus encore, cette mise en balance revêt une importance renforcée dès lors qu’il s’agit de faits tenant au discours politique ou débat d’intérêt public (§92).

 

En l’espèce, les juridictions autrichiennes ont peut-être pensé faire preuve de diligence. Malhabilement, elles se sont en réalité bornées à imposer la divulgation de l’identité des auteurs des commentaires illicites, tout en omettant d’opérer une mise en balance minutieuse des intérêts et droits en cause alors que cela s’imposait.

 

Outre son contrôle de proportionnalité, qui sera envisagé ensuite, la Cour reprend sa jurisprudence Delfi AS c. Estonie (Cour EDH, GC, 16 juin 2015, §148), en rappelant que la levée de l’anonymat ne peut être jugée nécessaire que dans certains cas exceptionnels, afin notamment de prévenir le désordre, le crime ou encore d’assurer une protection des droits et libertés d’autrui (§91 ; Cour EDH, 2 décembre 2008, K.U. c. Finlande, §49). En l’espèce, aucune exception ne viendra justifier les injonctions autrichiennes. Elles se suffisent à elles-mêmes pour constituer une violation, du fait de leur caractère tout à fait lacunaire.

 

Ainsi la Cour opère, comme traditionnellement, en trois temps. D’abord elle constate que ces ordonnances judiciaires ont constitué sans aucun doute possible une ingérence dans le droit à la liberté de la presse de la société requérante (composante de la liberté d’expression) garantie par l’article 10§1 de la Convention. Mais, cette liberté n’étant pas absolue (article 10§2), la Cour vérifie ensuite la légalité et le but légitime de l’ingérence, lesquels sont admis sans problème en l’espèce (§81). Enfin, la Cour juge non « nécessaire dans une société démocratique » l’ingérence générée par les deux ordonnances judiciaires (contrôle de proportionnalité) du fait de l’absence totale de mise en balance des intérêts en cause par les juridictions autrichiennes. En un mot, les mesures prises par les juridictions autrichiennes, n’étant pas proportionnées, elles ont violé le droit à la liberté d’expression de la société requérante. Le constat de violation de l’article 10 prononcé par la Cour, à l’unanimité, semblait ici, dès le départ, tout à fait évident. 

 

Par Valentin RENAUD (M2 Droit européen des droits de l’homme)

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