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Hygiène en garde à vue : le Conseil d’État constate un dysfonctionnement de caractère structurel

 

(Conseil d’État, ordonnance du 22 novembre 2021, N° 456924)

                           Par une ordonnance du 22 novembre 2021, le juge des référés du Conseil d’État reconnait qu’il existe un « dysfonctionnement de caractère structurel » relatif à l’hygiène en garde à vue. Cette ordonnance fait suite à des recommandations de la Contrôleure générale des lieux de privation de libertés du 21 septembre 2021 qui ont été suivis par une requête en référé de l’Association des avocats pénalistes. L’association demandait au juge d’ordonner toute mesure utile permettant de garantir le respect de la dignité et de la vie privée des personnes gardées à vue ainsi que leurs droits de la défense. Parallèlement, elle demandait d’enjoindre les ministres de l’intérieur et de la justice de prendre toutes mesures permettant de maintenir l’hygiène dans les locaux, de « garantir des couchages respectueux de la dignité des personnes », d’informer les gardés à vue de la possibilité qu’ils ont d’obtenir en permanence des nécessaires d’hygiène et, enfin, de « garantir des mesures de santé adaptées » à la pandémie. Le ministre de l’intérieur alléguait quant à lui que le rapport ne concernait que certains commissariats et qu’il n’y avait donc aucune atteinte structurelle. 

 

    Aux fins d’éclairer les enjeux sous-tendant l’adoption de cette ordonnance, il appartiendra d’envisager successivement les mesures ordonnées par le juge des référés dans la perspective de garantir la dignité des personnes gardées à vue. La démarche adoptée permettra ainsi au lecteur de comprendre tout à la fois les solutions apportées par le juge de l’urgence, mais également les difficultés rencontrées par ce dernier dans l’exercice de ses compétences. 

            Comment le Covid s’est-il immiscé jusque dans la garde à vue ? 

      Déjà à l’origine d’un important arsenal législatif, la pandémie ne s’étant pas arrêtée sur le pas de porte des établissements carcéraux français, il n’était plus qu’une question de temps avant que ses répercussions ne pèsent sur la conduite des opérations de garde à vue. Dans cette perspective, l’association requérante cherchait à faire reconnaître devant le juge de l’urgence que les autorités françaises étaient responsables d’une carence de nature à faire naître un danger caractérisé et imminent et portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales. 

   La pratique, telle qu’elle a pu être observée dans un nombre suffisamment représentatif de commissariats, consistait à disposer du matériel censé participer à la lutte contre la maladie, sans pour autant que cet équipement ne fasse l’objet d’un usage optimal, les personnes placées en garde à vue n’étant pas systématiquement informées de la possibilité de le renouveler. A cet égard, le Conseil d’État reconnaîtra effectivement que cette pratique est de nature à porter atteinte au droit à la vie des personnes concernées et à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants auxquels elles seraient exposées, droit respectivement consacrés à l’échelle européenne aux articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits et liberté fondamentales. 

   Face à cette situation avérée de carence, le juge des référés peut alors statuer de sorte à enjoindre au ministre de l’intérieur toutes les mesures qu’il estimera nécessaire à son redressement. En l’espèce, le juge contraint l’État à veiller à ce que les informations relatives aux équipements destinés à lutter contre la pandémie et à leur utilisation (possibilité de renouvellement toutes les 4 heures et accès sur simple demande à du gel hydro-alcoolique) par les personnes placées en garde à vue soient connues de celles-ci. 

   Insistant initialement sur l’aspect systématique de la communication de l’information, la précision aura toutefois disparu de l’injonction. La question de savoir dans quelles conditions doit alors s’effectuer ladite communication reste donc en suspens. Une variété d’instruments peut être envisagée – de l’affichage en commissariat à la simple communication orale – mais l’assurance que cette information ait été entendue et comprise n’est pas uniformément garantie. Tâchons pour l’heure de nous persuader que les forces de l’ordre ont su fournir ces informations ex post et qu’elles s’assurent désormais à chaque interpellation de les communiquer.

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               Pourquoi les gardés à vue n’ont-ils pas accès à des kits d’hygiène ?

       Si la durée maximale d’une garde à vue « normale » est de 24 heures, il faut savoir qu’elle peut être prolongée jusqu’à un total de 144 heures. Il apparait dès lors primordial qu’un gardé à vue puisse avoir accès, a minima, à un nécessaire d’hygiène, qui plus est, lors d’une longue garde à vue ou concernant les produits d’hygiène féminine. 

   La Cour européenne des droits de l’Homme a déjà rappelé dans ses arrêts que les garanties de protection des droits des détenus concernent aussi les gardés à vue (CEDH, 3 juillet 2014, Géorgie c. Russie) ; les autorités ont donc le devoir de les protéger (CEDH, 4 août 2017, Mustafayev c. Azerbaïdjan). Il semble alors que les gardés à vue devraient, au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme, avoir la garantie de pouvoir maintenir un minimum leur hygiène corporelle et ce, pour éviter tout traitement inhumain ou dégradant. Pourtant, l’ordonnance d’espèce ainsi que le rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de libertés du 21 septembre 2021 montrent bien que les gardés à vue n’ont pas accès aux kits d’hygiène.

 

   D’après le rapport, les kits sont « largement disponibles dans l’ensemble des commissariats ». Pourtant, le Conseil d’État considère que l’accès des détenus à ces kits n’est pas assuré. Mais comment un gardé à vue pourrait-il savoir qu’il a le droit d’obtenir un nécessaire d’hygiène alors même que la rubrique « garde à vue » du site service-public.fr, site officiel de l’administration française, ne mentionne à aucun moment la possibilité de se procurer de telles affaires auprès des service de police ?  De ce fait, si le gardé à vue ne peut pas anticiper la possibilité d’obtenir un nécessaire d’hygiène, il semble impératif que les membres des forces de police l’en informent et, selon l’ordonnance, c’est là que le bât blesse. Ainsi, le juge des référés enjoint au ministre de l’intérieur de prendre les « dispositions utiles pour que les « kits d’hygiène » soient disponibles et systématiquement proposés aux personnes gardées à vue » et ce, pour prévenir le risque de soumettre ces détenus à des traitements inhumains ou dégradants.

   Parallèlement, le Conseil d’État a, le 24 décembre 2021, soit un mois après l’ordonnance d’espèce, condamné l’État pour ne pas avoir distribué suffisamment de « kits d’hygiène » dans la prison de Fresnes. Cette condamnation fait elle-même suite à une injonction du Tribunal administratif de Melun de 2017. 

   Il reste donc à déterminer quelles seront les mesures prises par le ministre de l’intérieur pour que ce droit soit effectivement garanti aux détenus.

 

          Pourquoi le juge ne s’intéresse-t-il pas aux « dysfonctionnements de caractère structurel » ? 

      Dire que le juge « ne s’y intéresse pas » relève de la vulgarisation. A dire vrai, c’est peut-être même tout le contraire. Les dysfonctionnements de caractère structurel ont ici été identifiés par le juge de l’urgence. Si la Cour européenne des droits de l’Homme avait pu elle-même estimer que la France connaissait des dysfonctionnements systémiques relatifs à ses conditions de détentions (CEDH, 2020, J.M.B c. France, n°9671/15), aucun juge français ne s’était risqué à l’emploi d’une telle formulation, laquelle est lourde de sens. C’est donc se tromper que de dire que le juge ne s’intéresse pas à cette question car c’est bien lui qui met l’État devant le fait accompli. 

   En substance, le Conseil d’État constate que les conditions de garde à vue, en s’appuyant sur plusieurs recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, soulèvent des « difficultés » relatives à la propreté des locaux et du matériel de couchage. Ces « difficultés », plus tard qualifiées de « dysfonctionnements de caractère structurel », peuvent-elles être résolues par le juge des référés lui-même ? A cette interrogation, la juridiction administrative suprême apporte une réponse en demi-teinte. 

    D’abord, le juge justifie une partie de sa compétence par le caractère suffisamment étendu du risque de l’atteinte aux libertés fondamentales, lequel permet de présumer de sa gravité. L’ampleur spatiale du phénomène serait donc de nature à lui permettre de prescrire des mesures d’ordre général « nécessaires à la sauvegarde (de la) liberté fondamentale » (article L521-2 du code de justice administrative). Ce n’est pourtant pas la voie qui sera empruntée. 

   Mettant en perspective l’envergure du problème et l’étendue de son office, le juge administratif considère que les mesures devant être prescrites n’entrent pas dans son champ de compétences. L’impuissance du juge de l’urgence peut décevoir, mais la décision demeure porteuse d’espoir. Si le contentieux du référé-liberté s’est soldé par une petite victoire, l’on peut encore souhaiter un véritable triomphe au fond, où l’aspect systémique de ces dysfonctionnements pourrait être dument étudié par le juge administratif.

 

Par Yann LESCOP & Charlotte VINCENT (M2 Droit européen des droits de l’homme)

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