

La violation du droit au respect de la vie privée par l’Espagne à la suite du non-respect du refus de transposition sanguine par la requérante témoin de Jéhovah.
CEDH, 17 septembre 2024, Pindo Mulla v Spain, n°15541/20
Le présent arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après « la Cour ») le 17 septembre 2023 conclut à la violation de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après « convention »).
La présente affaire prend son origine en Espagne, où la requérante, alors que celle-ci est témoin de Jéhovah, se voit administrer une transfusion sanguine lors d’une intervention chirurgicale d’urgence nonobstant son refus exprimé tant à l’oral qu’à l’écrit et ce, à différents moments de la procédure.
En effet, la requérante a été prise en charge par un premier hôpital, l’hôpital de Soria, dans lequel elle est diagnostiquée d’un myome. En 2017, elle formule ses directives anticipées dans lesquelles elle exprime une première fois par écrit qu’elle refuse les transfusions sanguines en raison de ses convictions religieuses. Elle est par la suite transférée dans un hôpital à Madrid, l’hôpital la Paz. La veille de ce transfert, celle-ci formule une nouvelle fois son refus de transfusion sanguine par écrit dans le cadre d’une procédure de recueil du consentement libre et éclairé. Les médecins de la Paz contactent la juge de permanence, par le biais d’un télégramme, en lui faisant part de l’urgence de la situation et indiquent que la requérante refuse absolument tout traitement. Avant de statuer, celle-ci contacte alors deux fonctionnaires : le médecin légiste ainsi que la procureure locale. Elle rend sa décision qui dispose que les médecins doivent prendre les mesures médicales et chirurgicales nécessaires fussent prises pour protéger la vie et l’intégrité physique de la requérante. Par conséquent, à son arrivée, cette dernière est opérée sans avoir connaissance ni de la décision ni de la nature de son opération.
Une fois que la requérante prend connaissance de la transfusion sanguine qui lui a été administrée sans son consentement, celle-ci découvre la décision de la juge de permanence et la conteste jusque devant le Tribunal Constitutionnel espagnol (recours d’amparo) qui estime sa requête irrecevable.
La réponse de la Cour est classique dans sa structure, qui répond en deux parties : une première sur la recevabilité et une seconde sur le fond. Sur les articles 34 et 35 de la convention concernant la recevabilité, celle-ci ne pose pas réellement problème à la Cour et déclare donc la requête parfaitement recevable.
Sur le fond, la Cour commence par centrer l’affaire sur le terrain de l’article 8 lu à la lumière de l’article 9 de la convention puisque les deux terrains étaient invoqués par la requérante.
Puis, s’intéresse à la justification de l’ingérence, avec la légalité de celle-ci, le but visé par celle-ci pour finir par la nécessité de cette dernière. Sur les deux premiers, elle estime que l’ingérence est bien prévue par la loi et qu’elle poursuit le but de « protection de la santé ».
Sur la nécessité de l’ingérence, la présente Cour se fonde sur la convention d’Oviedo dans son article 5 puis rappelle ses précédents jurisprudentiels[1] pour rappeler essentiellement la même chose. À savoir que dans le domaine de la santé, le droit au respect de la vie privée inclut l’autonomie personnelle, que la liberté d’accepter ou de refuser un traitement médical spécifique est cruciale pour l’autodétermination et pour l’autonomie personnelle.
Sur la conciliation des droits et obligations découlant de la Convention qui sont en jeu, donc le droit à la vie qui prend son fondement dans l’article 2 de la convention et le droit au respect de la vie privée, la Cour rappelle la nécessité de respecter le choix libre et éclairé du patient. Cependant, la Cour souligne que l’article 8 n’est pas un droit absolu. Ainsi, pour pouvoir refuser un traitement considéré comme étant vital et urgent, la personne doit être en capacité de refuser librement et de manière autonome, posséder la capacité juridique pour le faire et comprendre parfaitement les conséquences de sa décision. Dans la globalité de la situation qui entre sur le terrain de l’article 2 ainsi que de l’article 8 de la convention, les souhaits du patient doivent être considérés comme jouant un rôle primordial.
En l’espèce, la Cour souligne la lacune des autorités compétentes, même compte tenu de l’urgence de la situation, de ne pas avoir cherché à compléter les informations inexactes et incomplètes du télégramme émis par les médecins. Il est donc primordial que l’instance décisionnelle compétente prenne des mesures raisonnables pour lever tout doute quant à la volonté du patient. La Cour, en prenant la globalité des faits présentés devant elle, estime que l’absence de communication entre la patiente et le personnel médical de la Paz au sujet de l’intervention qui allait avoir lieu résulte en un manquement à la procédure habituelle de recueil du consentement.
Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 8 lu à la lumière de l’article 9 de la convention.
[1] Pretty, Lambert ou encore les témoins de Jéhovah de Moscou et autres c. Russie
Camille MAGALHÃES LOPES
M2 DEDH